Rachat de Guinness Cameroun: les dessous de l’approbation du deal entre Castel et Diageo
Le 28 mars 2023, le top management de la Société anonyme des boissons du Cameroun (Sabc), l’une des filiales locales du groupe français, a annoncé la validation du rachat de Guinness Cameroun. Analyse.
L’acquisition de Guinness Cameroun par le groupe français Castel est désormais valide. « Je suis particulièrement heureux de partager avec vous cette grande nouvelle, qui renforce notre leadership et nous donne une responsabilité sociétale encore plus grande auprès des consommateurs et de l’État du Cameroun, parce qu’il s’agit d’un projet de croissance, d’investissement et de création de valeur locale pour l’ensemble de nos parties prenantes ». C’est en ces termes que Stéphane Descazeaud, le directeur général de Sabc, a annoncé à son personnel le 29 mars 2023, la validation 24 heures plus tôt par les autorités de la concurrence de la Cemac, de la transaction de 300 milliards de FCfa annoncé le 14 juillet 2022 par les groupes Diageo et Castel, relatif au rachat de Guinness Cameroon.
Le mariage désormais effectif entre les deux principales entreprises spécialisées dans la production et la commercialisation de la bière et des boissons gazeuses au Cameroun, apparaît pour le groupe Castel comme un levier de croissance à capitaliser. Ceci dans la mesure où « l’acquisition de Guinness Cameroun va créer à terme un grand nombre d’opportunités hautement bénéfiques pour la filière, que ce soit en termes d’emplois, de synergies industrielles ou de brassage culturel. Toutes choses qui viendront renforcer et enrichir notre vision, notre mission et nos valeurs », confie le directeur général de Sabc.
A l’analyse, ce sont ces opportunités dont parle le directeur général de la Sabc, qui semblent avoir guidé la décision des autorités de la concurrence du Cameroun et de la Cemac. Ceci, dans un contexte où, dès l’annonce de l’accord de cession d’actifs entre Castel et Diageo, des voix s’étaient élevées au sein de l’opinion et surtout dans le milieu brassicole, pour dénoncer une pratique anticoncurrentielle visant à conférer à Castel une position monopolistique sur le marché camerounais. Mais, une lecture de la loi du 14 juillet 1998 relative à la concurrence au Cameroun permet de découvrir qu’une fusion ou une acquisition peut être validée, même si elle porte préjudice à la concurrence sur le marché, à condition qu’il soit démontré que les effets de cette transaction sur l’économie sont avérés et supérieurs aux effets préjudiciables à la concurrence.
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« Une fusion ou une acquisition qui porte ou porterait atteinte de manière sensible à la concurrence peut être admise si : a) les parties à la fusion ou à l’acquisition prouvent à la Commission nationale de la concurrence que la fusion a apporté ou apportera des gains d’efficience réels à l’économie nationale dépassant les effets préjudiciables à la concurrence sur le marché ; b) lesdits gains ne sauraient être atteints sans la fusion ou l’acquisition », stipule l’article 17 de cette loi. Pour emporter l’adhésion des autorités de la concurrence du Cameroun et de la Cemac sur cet aspect de la transaction avec Diageo, le groupe Castel a accompagné le rachat des actifs de Guinness Cameroun par un programme d’investissements quinquennal de 200 milliards de FCfa. Ce qui portera finalement la transaction à un montant global de 500 milliards de FCfa.
Contestations
Selon ce programme d’investissements, il est prévu la construction de trois nouvelles lignes de production dédiées aux produits Guinness dans les usines de Yaoundé, Garoua et Bafoussam, ainsi que l’augmentation des capacités de production d’emballages en verre à la Société camerounaise de verrerie (Socaver) à Douala. A côté de ces investissements, qui débuteront en 2023, pour accompagner le développement du marché des boissons, compléter et élargir la gamme des produits Sabc avec l’intégration des marques Guinness, développer et améliorer la disponibilité des produits en général et Guinness en particulier ; le deal entre Castel et Diageo préserve les emplois des 400 personnels de Guinness Cameroun, apprend- on des parties.
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Ce mariage sera également bénéfique pour tous les partenaires sociaux, dont l’Etat du Cameroun, qui engrangera plus de recettes fiscales. Les actionnaires parmi lesquels la Société nationale d’investissement (SNI) et les petits porteurs camerounais qui détiennent 15,6% du capital de la Sabc, ainsi que la masse des sous-traitants constituée de PME camerounaises, seront tous tirés par une locomotive encore plus puissante. Par ailleurs, la finalisation de cet accord apporte un regard nouveau sur le Cameroun, dont l’image est entachée par des conflits d’ordre sécuritaire (à l’Extrême-Nord et dans les régions anglophones), mais qui reste une terre propice pour faire de bonnes affaires, comme en témoigne la transaction entre Diageo et Castel. Mais, jusqu’ici, tous ces effets induits ne réussissent pas à taire la contestation autour de cette transaction. « Nous sommes choqués par la manière dont les autorités de la Cemac ont traité ce dossier, en marge de la loi et en dépit de nos démarches. En outre, leur décision d’approbation n’a fait l’objet d’aucune publication officielle, ce qui montre l’opacité qui entoure cette procédure », a réagi Me Roland Abeng, avocat de l’Union camerounaise de brasseries (UCB). A en croire cet homme de droit, le numéro 3 du marché brassicole au Cameroun se prépare à saisir la Cour de justice de la Cemac, basée à Ndjamena, la capitale tchadienne, pour attaquer la décision prise par le Conseil communautaire de la concurrence (CCC).