Parlement : Les dossiers attendus de la session parlementaire de mars 2023
Plusieurs projets de loi annoncés sur la table des députés et sénateurs par le gouvernement devraient être à l’ordre du jour pendant cette première session de l’année, ouverte le 3 mars 2023.
Députés et sénateurs ont regagné leurs bureaux à Yaoundé, début mars 2023, pour la première session parlementaire de l’année. A l’ouverture des travaux, le 3 mars dernier, les doyennes d’Âge : l’honorable Laurentine Koa Mfeugue pour l’Assemblée nationale et l’honorable Isabelle Tokpanou au Sénat, se sont voulues rassurantes quant à l’engagement des élus à rester concentrés sur leurs missions : le vote des lois et le contrôle de l’action gouvernementale. L’agenda des travaux n’est pas dévoilé. Mais un faisceau d’indices permet d’entrevoir les dossiers qui pourraient meubler la session. Dans ce sens, les discours d’ouverture doivent être auscultés à la loupe.
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Lutte contre la corruption
Par exemple, lorsque l’honorable Laurentine Koa Mfeugue met l’accent sur les « scandales de la République ». La doyenne d’Age de l’Assemblée nationale, énumère entre autres, « Affaire du chantier de construction du complexe sportif d’Olembe ; Affaire de la gestion des fonds Covid-19 ; Affaire des indemnisations du projet de construction de l’autoroute Yaoundé-Douala ; Affaire de la gestion des chapitres 94 et 65 de la Loi de finances ; Affaire de l’assassinat de Monseigneur Jean Marie Benoît Balla, ancien évêque de Bafia ; Affaire de l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, etc. » avant de lancer, sentencieuse : « La Représentation Nationale demande que les coupables rendent gorge et que la loi puisse sévir car, force doit toujours rester à la loi. »
C’est alors qu’on se rappelle que pour la Commission nationale anti-corruption (Conac), « le combat contre la corruption monterait d’un cran, si une loi nationale était promulguée. » Le 10 janvier 2023, la Conac a officiellement reçu le soutien du Réseau parlementaire de lutte contre la corruption (Apnac). Après avoir établi une plateforme collaborative, les deux parties ont convenu que « les deux chambres parlementaires, le Sénat et l’Assemblée nationale devront user du pouvoir législatif dont elles disposent pour accompagner la Conac dans l’accomplissement heureux de sa mission de lutte contre ce fléau. » De là à penser que la loi tant attendue pourrait être soumise aux Parlement pendant cette session, il n’y a qu’un pas que certains franchissent volontiers.
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Couverture santé universelle
Il semble de plus en plus certain que l’on s’achemine vers l’opérationnalisation de la première phase de la Couverture santé universelle (CSU). Ce devrait être à la fin du mois de mars en cours. Du moins, c’est ce qu’a officiellement annoncé le 10 février dernier, le ministre de la Santé publique (Minsanté), Manaouda Malachie, au terme de la conférence annuelle des responsables des services centraux et déconcentrés. Le programme propose un panier de soins bien précis avec pour cibles prioritaires : les femmes enceintes et les enfants de zéro à cinq ans. « Les acteurs ont déjà été identifiés. Nous avons élaboré tous les documents et nous pensons que nous pourrons dans les semaines à venir, lancer la phase évoluer avec cette phase I », a confié le Minsanté.
D’après les échanges, le gouvernement va subventionner la prise en charge du paludisme chez les enfants de 0 à 5 ans, la prise en charge du VIH/Sida, la tuberculose et l’insuffisance rénale sur l’ensemble du territoire national. La prise en charge des femmes enceintes cependant, se fera dans cinq régions, pour un premier temps, d’après le projet chèque-santé. Notamment : l’Extrême-Nord, le Nord, l’Adamaoua, l’Est et le Sud.
Le seul hic est qu’il y a encore un dernier verrou à lever : « Nous aurions voulu qu’on ait déjà institué la loi sur la couverture santé universelle. Ce projet de loi a été élaboré par le gouvernement et nous pensons que lors des prochaines sessions parlementaires, le président de la République pourra transmettre cela au Parlement », se défendait le Minsanté en juin 2021 devant la Représentation Nationale dans le cadre de la séance plénière spéciale consacrée à la CSU. Manaouda Malachie rappelait au passage que sept autres projets de Décret vont aller avec l’avant-projet de loi. Alors, le gouvernement compte-t-il se jeter à l’eau sans ce corpus juridique qui garantit une mise en œuvre sereine de la CSU ? Cela semble improbable.
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Planification stratégique
Une nouvelle pierre vient d’être ajoutée à l’édifice de la Stratégie Nationale de Développement (SND30). Le gouvernement a ficelé fin février 2023, la stratégie de financement. L’atelier d’échanges entre les responsables des services centraux et déconcentrés du ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire, tenu le 16 février 2023 à Yaoundé, sur les « Enjeux et Défis du Financement de la Stratégie Nationale de Développement du Cameroun pour la période 2020-2030 », a permis d’avoir une estimation des besoins globaux de financement, soit 88 000 milliards de FCFA et des instruments ou modes de financement les plus indiqués pour mobiliser les ressources nécessaires.
Il s’agit d’un point important dans la mise en œuvre de cette deuxième phase de la Vision du développement du Cameroun à long terme (Vision 2035) mais qui n’est pas un gage de succès. Pour éviter les écueils identifiés au terme de la première phase de cette Vision (DSCE) où le pays a dépensé plus de 36 000 milliards de FCFA sans atteindre aucun des quatre objectifs principaux, il a été convenu d’encadrer la SND30 par une loi. Dans la Circulaire du 10 juillet 2020 préparatoire au budget de l’Etat de l’exercice 2021, le président de la République a instruit au gouvernement de « finaliser l’Avant-projet de loi de modernisation de l’économie, portant orientation programmatique de la Stratégie Nationale de Développement du Cameroun pour la période 2020-2030. » A l’Assemblée nationale le 20 novembre 2022 lors de la présentation du Programme économique, financier, social et culturel du gouvernement pour l’exercice 2023, le Premier ministre Joseph Dion Ngute a précisé que cette Loi est un impératif pour « l’arrimage des corps de métiers de l’Administration publique aux objectifs de la SND 30 ».
Développement local
Dans une interview publiée par le quotidien public, Cameroon tribune, le 6 mars 2023, le ministre de la Décentralisation et du développement local, Geaorges Elanga Obam, déclare que « la loi sur la fiscalité locale est en ce moment l’objet d’une étude attentive dans la perspective de transmission au Parlement dans les délais qui ne me semblent pas très longs. » Peut-on être plus clair ? Surtout qu’on ne voit pas bien l’urgence factuelle de cette sortie médiatique, si ce n’est pour le dire sans en donner l’air. C’est peut-être aussi une réponse, par média interposé, aux élus locaux qui haussent de plus en plus le ton sur cette question, donnant à penser à une incompétence de leur tutelle.
En effet, au cours de l’atelier sur les enjeux et défis du financement de la SDN30, le Président des Communes et Villes Unies du Cameroun (CVUC) Augustin Tamba, a expliqué comment la décentralisation offre également une fenêtre d’opportunité qui pourrait être d’un apport non négligeable. Il a relancé le plaidoyer des élus locaux en faveur de la décentralisation fiscale et a recommandé l’aboutissement urgent des réformes sur la fiscalité locale avec par exemple l’instauration de la taxe sur l’habitat qui représente 70 à 80% du Budget des Communes de par le monde.
Selon ce porte-voix des Collectivités territoriales décentralisées (CTD) camerounaises, la nécessité de réformer la fiscalité locale se fait jour pour diversifier et améliorer son rendement d’une part, consolider la mobilisation et les modalités de transferts effectifs des produits de ladite fiscalité aux CTD d’autre part ; de revoir le mécanisme de mise à disposition des fonds aux CTD ; et d’assurer une meilleure péréquation dans le transfert des ressources aux CTD, en intégrant les conseils régions (non pris en compte actuellement) pour mieux tenir compte des disparités locales.
Dématérialisation des valeurs mobilières
Cette session parlementaire pourrait également s’intéresser au marché financier. Lors de leur Conférence d’octobre 2017 à Ndjamena, les chefs d’Etat de la Cemac ont décidé de la fusion des marchés financiers de la Cemac, faisant de la Beac, le nouveau Dépositaire central à titre provisoire. Or, avant cette décision, la loi du 24 avril 2014 fixant les modalités de dématérialisation des valeurs mobilières désigne la Caisse autonome d’amortissement (CAA) comme Dépositaire central des valeurs mobilières du marché financier du Cameroun. Dès lors, la question est de savoir si la CAA peut continuer à assurer cette fonction malgré la fusion des marchés financiers de la Cemac. Aujourd’hui, le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, Richard Evina Obam, alors DG de la CAA, a apporté une première réponse à cette préoccupation : « Il est bien vrai qu’à la faveur de la fusion des marchés financiers de la Cemac, la CAA s’est vue perdre ses prérogatives de Dépositaire central du marché financier national désormais affecté à la Beac à titre transitoire. Toutefois, sous réserve des modifications textuelles, elle conserve bien son rôle de Dépositaire du processus de dématérialisation et à ce titre, elle assure la conservation de l’ensemble des valeurs mobilières non cotées au Cameroun.»
Pour régler cette question de « modifications textuelles », il n’est donc pas exclu que le gouvernement décide de faire réviser par le Parlement la loi n°2014/007 du 24 avril 2014 fixant les modalités de dématérialisation des valeurs mobilières et des textes encadrant le processus en vue de préciser les rôles des différents acteurs et leurs prérogatives à la suite de la disparition de la Commission des marchés financiers et de conforter la CAA en tant que dépositaire central définitif des titres non cotés au Cameroun. Surtout qu’un sommet des chefs d’Etat de la Cemac est prévu au Cameroun le 15 mars 2023.