Groupe Castel : Des avancées à reculons en Afrique ?
Déboires en République centrafricaine, pertes de parts de marché…le groupe français multiplie des retraits de l’actionnariat de certaines entreprises et se déleste progressivement de pans entiers de ses activités sur le continent, tout en renforçant sa présence sur d’autres marchés africains.
Au terme d’une session de conseil d’administration tenue le 17 février dernier, à Tunis, la Société de fabrication des boissons des Tunisie (Sfbt) a officialisé le retrait de son capital du groupe Castel qui y était majoritaire (58%) depuis 2019, à travers sa filiale, Brasseries et glacières internationales (BGI). Les dirigeants de l’entreprise ne donnent aucune explication au sujet de ce retrait qui paraît paradoxal au regard des performances de la Sfbt qui occupe une position de leader sur le marché tunisien. Elle contrôle environ 90 % du marché national de la bière avec les marques Celtia et Stella, ainsi que les produits sous licence 33 Extra Dry et Beck’s ; 90 % de celui des sodas ; 40 à 50 % du marché des eaux minérales avec les marques Safia ou Aïn Garci, etc. En 2022, la Sfbt a enregistré une progression de 11,30% de son chiffre d’affaires (813.129 milliards de dinars tunisiens, soit environ 160 milliards F Cfa, contre 730.543 Mdt en 2021).
Cette sortie en appelle d’autres sur le continent. Le site français « Les Echos capital finance » avait révélé, début juin 2022, que des négociations avec plusieurs investisseurs et industriels étaient déjà en cours concernant la cession des actifs ivoirien et marocain du groupe français dans le segment des eaux. Cette branche est pourtant exigeante en investissements pour venir à bout des pénuries et n’intéresse sans doute plus le géant français.
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Ce reflux sur certains marchés du continent s’accompagne également d’un renforcement de sa présence dans certains pays d’Afrique subsaharienne, où il affiche de nouvelles ambitions et dans lesquels il densifie ses investissements en se diversifiant. C’est le cas, par exemple, du Cameroun où sa filiale, Société anonyme des brasseries du Cameroun (Sabc), devenue il y a peu Société des boissons du Cameroun qu’il détient à 80%, réalise un chiffre d’affaires en hausse d’année en année – il était de 691 milliards F Cfa en 2021. Selon « Les Echos capital finance », l’une des raisons justifiant le retrait du marché des eaux en Afrique est le désir du brasseur français se concentrer désormais sur la bière, les mélanges alcoolisés et les boissons gazeuses. C’est dans cette optique qu’il négocie, depuis juillet 2022, avec le britannique Diageo pour le rachat de sa filiale locale, Guinness Cameroon S. A (GCSA). Montant de la transaction : 300 milliards Fcfa.
Guinness
En cas d’aboutissement de cette opération qui porte sur 100% du capital de Guinness Cameroon, Sabc consoliderait son leadership avec pas moins de 80% des parts du marché camerounais. Cette perspective n’arrange pas les autres acteurs du secteur, tant la conclusion de ce deal placerait le français dans une position de quasi-monopole. L’Union camerounaise des brasseries (UCB), du groupe Kadji en l’occurrence, a récemment entrepris des démarches en vue de la contestation de ce rachat qu’elle considère comme une « opération de concentration » auprès du Conseil communautaire de la concurrence (Ccc) de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac).
Hors de son cœur de métier, la Sabc avait inauguré, en novembre 2021, une maïserie construite à 18 milliards F Cfa dans la périphérie sud de Yaoundé, à Mbankomo. Le 13 décembre 2022, la filiale du groupe Castel a présenté un programme d’investissement de 200 milliards F Cfa pour les 5 prochaines années.
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Justice française
Elle construira, notamment, une distillerie d’une capacité de 10 millions de litres dans la ville de Mbandjock (Haute Sanaga), dans le but de mettre fin aux importations des matières premières rentrant dans la fabrication des boissons alcoolisées. Dans le segment des eaux minérales, Castel est présent au Cameroun via la sous-entité Société des eaux minérales du Cameroun (Semc) et ne compte manifestement pas faire profil bas. Elle est engagée dans une stratégie de reconquête de ses parts de marché perdues, qui étaient jadis de 65%. En 2021, la Semc avait enregistré 40% des ventes d’eau dans le pays, après avoir réalisé ses pires performances (-20%) au cours des années précédentes. « De fait, les parts de marché de Castel dans l’eau se sont effritées depuis plusieurs années, par exemple au Gabon avec l’arrivée du chinois Chen Shi Origen Pure en 2016, ou encore face à la concurrence de Source du Pays, contrôlée par le Libanais Nassrallah el-Sahely, au Cameroun », ajoute « Les Echos capital finance ».
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Le challenge est donc grand pour le groupe français qui se voit chahuté sur d’autres marchés par de nouveaux venus aux méthodes pas toujours orthodoxes. En République centrafricaine, par exemple, il n’est plus en odeur de sainteté avec les autorités qui accusent ses filiales locales, Sucrerie africaine de Centrafrique (Sucaf) et la brasserie Motte Cordonnier Afrique (Mocaf), d’avoir financé un groupe armé. Entité du groupe paramilitaire russe Wagner, la First Industrial Company (FIC), qui produit une nouvelle bière de marque Africa Ti L’Or à Bangui, s’est engouffrée dans la brèche pour organiser une campagne de sabotage de la bière Mocaf sur les réseaux sociaux et en placardant des affiches dans la capitale. Une concurrence déloyale qui jette le froid sur les relations entre Bangui et Castel et n’est pas favorable au développement de ses affaires dans ce pays en proie à une insécurité chronique. Courant 2022, la justice française avait ouvert une enquête sur ces graves accusations. Pour mémoire, le groupe hexagonal est présent dans 21 pays en Afrique, continent qui pèse 90% de son activité dans le monde. Il est classé deuxième dans le secteur de la fabrication et la commercialisation de bières et boissons gazeuses sur le continent.