BEAC: bilan partiel et principaux challenges du gouvernement d’Abbas Mahamat Tolli
Aux commandes de la Banque des États de l’Afrique centrale depuis février 2017, Abbas Mahamat Tolli a impulsé une série de réformes qui portent des fruits, même si beaucoup reste à faire.
Difficile. Ainsi pourrait-on qualifier le contexte dans lequel l’actuel gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale(Beac) a pris fonction en février 2017. Abbas Mahamat Tolli, de nationalité tchadienne, avait pourtant été nommé en février 2016 en même temps que Dieudonné Evou Mekou, Vice-Gouverneur, de nationalité camerounaise ; Désiré Guedon, Secrétaire général, de nationalité gabonaise et trois Directeurs généraux à savoir Ebe Molina Ivan Bacalé, de nationalité équato-guinéenne, Bienvenu Marius Feimonazoui, de nationalité centrafricaine et Ondaye Ebauh Cédric, de nationalité congolaise. Le nouveau gouvernement prend fonction dans un contexte très difficile pour les États membres de la Cemac(Cameroun, Gabon, Congo, RCA, Guinée équatoriale, Tchad, Centrafrique).
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Confrontées depuis 2014 à une forte baisse du prix du pétrole et à des problèmes sécuritaires, les économies de la Cemac affichaient de faibles taux de croissance, engendrant ainsi un climat social morose. Les réserves de change de la Beac avaient fortement chuté, faisant planer le risque d’un ajustement de la parité monétaire.
Pour faire face à cette situation, les six (06) chefs d’Etat de la Cemac s’étaient réunis en urgence à Yaoundé, le 23 décembre 2016 et avaient adopté un train 21 mesures et recommandations à mettre en œuvre aussi bien par les Etats que par la Beac. Pour marquer la gravité du moment et l’importance cruciale de ces assises, les Chefs d’Etat de la Cemac y avaient convié en particulier le ministre français des Finances et la Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI). De nombreuses mesures alors décidées incombaient à la Beac et constituaient autant de défis à relever par la nouvelle équipe dirigeante.
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Mesures de redressement immédiats
Sous la conduite d’Abbas Mahamat Tolli, le nouveau gouvernement a entrepris la conception et la mise en œuvre d’importantes mesures de redressement, en particulier dans les domaines des politiques monétaire et de change, avec l’appui des organes de décision et des partenaires internationaux ainsi que la forte implication du personnel de la Banque centrale. D’autres chantiers ont aussi été lancés dès février 2017, afin d’améliorer la gouvernance, rationaliser la gestion interne et contribuer à moderniser l’environnement économique et financier de la Cemac. L’ensemble de ces actions ont été articulées et mises en cohérence dans le Plan Stratégique de la Banque – Horizon 2017–2020 (PSB 2017–2020). C’est ainsi que les instruments et les modalités d’intervention de la politique monétaire de la Beac comme les infrastructures de marché ont été modernisés ; le tri par État des billets, lourds et coûteux, a été supprimé et le mode de détermination de la circulation fiduciaire des pays de la Cemac a été rénové ; la réglementation des changes a été révisée et est désormais rigoureusement mise en œuvre. D’autres réformes importantes ont également été menées à terme, à savoir : i) l’arrimage du système comptable de la Beac aux normes Ifrs, gage d’une meilleure transparence et fiabilité de ses comptes ; ii) la fusion effective des deux marchés financiers de la Cemac et la dynamisation du marché des Titres publics de la Communauté, qui offrent désormais aux opérateurs économiques d’un côté, et aux Etats de l’autre, de nouvelles sources de financement importantes ; iii) la poursuite de la modernisation des systèmes et moyens de paiement, en particulier l’interopérabilité monétique intégrale (mobile money, cartes de paiement internationales et carte Gimac), qui a rendu possible un essor remarquable des paiements dématérialisés ainsi que le développement de l’inclusion financière dans la Cemac.
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Plus de 5 ans après, cette détermination collective au service de la Communauté a produit des résultats palpables au rang desquels on peut citer le maintien de la parité du FCFA par rapport à l’Euro, l’ajustement redouté ayant été évité grâce aux mesures mises en œuvre par les Etats et la Beac, avec l’accompagnement des partenaires techniques et financiers, la soutenabilité extérieure s’étant retrouvée consolidée ; la conclusion de programmes économiques et financiers avec le FMI et leur mise en œuvre globalement satisfaisante par tous les pays de la Cemac, avec l’accompagnement de la Beac ; l’amélioration de la situation macroéconomique de la Cemac induite par la mise en œuvre courageuse des mesures d’ajustement, la croissance économique étant redevenue positive, passant de -1,4 % en 2016 à +2,0 % en 2019 ; -1,8% en 2020(à cause de la crise sanitaire du Covid 19) et 1,7% en 2021.
Au plus fort d’une application rigoureuse du nouveau règlement sur le change, les réserves de la Cemac ont fortement cru passant de 3.093,2 milliards FCFA à fin décembre 2016 à près de 6000 milliards FCFA à fin août 2022, soit quasiment le double. À côté de cela, on peut noter l’amélioration des interventions de la Beac sur le marché monétaire, le fort accroissement des échanges sur le marché interbancaire de la Cemac ;une meilleure transmission de la politique monétaire, par la facilitation des anticipations des agents économiques avec l’adoption d’une nouvelle stratégie ; l’amélioration de la qualité de l’information financière produite par la Beac et la consolidation de son assise financière, avec le passage aux normes Ifrs ; la fusion institutionnelle et physique des marchés financiers de la Cemac ; la facilitation et l’accroissement des paiements électroniques dans la Cemac ; l’amélioration de la bancarisation et de l’inclusion financière, à travers l’extension du réseau d’agences de la Beac ; le renforcement de la gouvernance et de l’indépendance de la Beac par la réforme de ses Statuts et la consolidation de la situation financière de la Beac, grâce aux mesures ayant permis d’extérioriser des résultats bénéficiaires, ainsi qu’à l’impact sur les fonds propres de l’arrimage du système comptable de la Beac aux normes Ifrs.
L’une des plus grosses avancées à mettre à l’actif du gouvernement actuel de la banque centrale régionale est surtout la forte augmentation du financement des Etats à travers le marché des titres publics. L’encours étant passé de 916,1 milliards FCFA à fin décembre 2016 à plus de 5000 milliards à fin septembre 2022. L’essor de ce marché ayant largement contribué à la mobilisation par les États des ressources face aux conséquences de la pandémie de Covid-19.
Beaucoup reste à faire
De nombreux défis vont continuer à se poser aux Etats et à la Beac dans les mois et les années à venir. En particulier, il faudra faire face aux graves conséquences de la crise sanitaire sur les économies déjà fragilisées par les crises sécuritaires et la chute du prix du pétrole. Afin de permettre à la Cemac de revenir sur une trajectoire vertueuse de croissance pour un développement économique et social sain et durable, chaque acteur devra contribuer de façon énergique. En ce qui concerne la Beac, les efforts vont se poursuivre et seront axés en particulier sur la consolidation de l’efficacité de la politique monétaire commune, l’accélération du processus de développement des différentes composantes des marchés de capitaux, le renforcement du dispositif de suivi de la réglementation des changes ainsi que du cadre de gestion des réserves de change et l’accélération du processus de transformation des habitudes de paiement dans la Cemac pour favoriser notamment une meilleure fluidité des échanges économiques et l’intensification de l’inclusion financière.
S’agissant de l’accompagnement des Etats, la Beac prévoit de poursuivre et d’intensifier son assistance technique et sa contribution au renforcement des capacités des administrations financières, pour une gestion efficiente des finances publiques.
Concernant les actions relevant des Etats, il est urgent que des mesures adéquates soient prises dans les meilleurs délais pour une réforme en profondeur des structures économiques et sociales de la Cemac, à travers des politiques sectorielles orientées vers le relèvement des capacités de production nationales, tout en veillant à la mutualisation des efforts au plan communautaire pour bénéficier des économies d’échelle. Cet engagement attendu des Etats devra favoriser une plus grande diversification des économies, gage d’une croissance indispensable pour réduire significativement la pauvreté dans la Cemac.
Pour les partenaires techniques et financiers internationaux, leur engagement résolu aux côtés des Etats et des institutions de la Cemac est essentiel pour accompagner les initiatives nationales et communautaires, notamment dans le cadre des programmes économiques et financiers « de deuxième génération » en cours de négociation.