Assemblée nationale : Le bilan de la session de juin 2022
Au-delà des sept projets de loi adoptés et la tenue de quatre séances plénières dont trois consacrées aux questions orales, les députés ont quitté l’hémicycle le 06 juin 2022 avec un goût d’inachevé dû à l’absence du Débat d’orientation budgétaire (Dob).
Le train de la deuxième session ordinaire de l’année législative 2022 est entré en gare le 06 juillet dernier sur les hauteurs du mont Nkol nyada. Une clôture dans un calme plat. Pourtant la veille, l’opération blocus lancée par des députés du groupe ‘’Union pour le changement’’ a amené le président de l’Assemblée nationale (PAN), l’honorable Cavaye Yeguie Djibril, à suspendre les travaux afin de ramener le calme. Joshua Osih, Cabral Libii, Djeumeni Emelda … ont donné le ton. L’honorable Jean-Michel Nintcheu quant à lui, est arrivé à l’hémicycle avec un vuvuzela pour jouer sa partition. Le climat était « tendu ». Ces députés protestaient contre le dépôt tardif des documents devant servir pour le Débat d’orientation budgétaire (Dob).
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Violation de la loi
Le régime financier de l’Etat de 2018 fixe les délais pour soumettre le dossier à l’appréciation des députés. L’article 11 de ce texte stipule que : chaque année, avant le 1er juillet, le gouvernement transmet au Parlement des documents de cadrage à moyen terme…accompagnés d’un rapport sur la situation macro-économique et d’un rapport sur l’exécution du budget de l’exercice en cours. L’article 2 du présent régime va d’ailleurs plus loin : Sur la base de ces documents et rapports, le parlement organise un débat d’orientation budgétaire, en séances publiques, mais sans vote.
Au regard de ces dispositions contenues dans le Régime financier de l’Etat, le gouvernement n’a pas respecté les délais. Les parlementaires ont reçu le document le 05 juillet ; ce qui est contraire à la loi. « C’est un texte voté par l’Assemblée. Elle n’est pas respectée. Si le gouvernement ne respecte pas la loi, qu’en sera-t-il du citoyen lambda. Quel est le message que nous passons au peuple camerounais », a dénoncé un député étonné par l’approche du pouvoir exécutif. Le président du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (Pcrn), l’honorable Cabral Libii, n’a pas caché sa gêne : « Il n’y a pas un seul député, quel que soit son bord politique, qui puisse cautionner ce qui s’est fait aujourd’hui. C’est un mélange de mépris et de condescendance. On ne peut pas servir 170 pages à 10 heures aux députés et leur demander de s’exprimer dessus 10 minutes après. Ceci est une violation de la loi ». Ces bruits n’ont pas empêché le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, de présenter devant la représentation nationale, bien que certains députés aient décidé de claquer la porte, le Document de programmation économique et budgétaire à moyen terme (Dpeb). Ce volumineux document fixe les priorités de l’Etat pour la période triennale 2023-2025. « La priorité sera accordée à la finalisation et la mise en service des grands projets de première génération ; la poursuite de la mise en œuvre de la politique de l’import substitution et de la promotion du patriotisme économique ; l’accélération du processus de décentralisation à travers la poursuite de la mise en place des Régions et de la fonction publique locale ou encore la réduction progressive du stock de la dette intérieure… ».
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7 projets de loi adoptés
Sans Dob, l’honorable Djeumeni Benilde, conseille au gouvernement de passer à une session extraordinaire pour mieux orienter le budget. « Si nous ne débattons pas sur l’orientation budgétaire, cela va être un évènement inédit pour le Cameroun parce que, le budget ne sera pas recevable en novembre. On sera obligé de passer à un budget programme en 2023 ». Au-delà de cette question qui a fait bouger la session de juin, notons également que sept projets de loi ont été examinés et adoptés par la chambre basse du parlement. Parmi les plus saillants, on note la digitalisation des services diplomatiques et surtout l’adoption du projet de loi sur la Procréation médicalement assistée (Pma). Ce texte vient encadrer désormais ce secteur. L’activité a connu un certain essor avec la création du Centre hospitalier de recherche et d’application en chirurgie endoscopique et reproduction humaine (Chracerh). Ce texte a suscité un intérêt particulier au sein de l’hémicycle. « En termes de substance, il y a des lois très intéressantes notamment le projet de loi portant Procréation médicalement assistée (Pma). C’est une grande loi qui ouvre de nouvelles perspectives à de jeunes camerounais qui ont des difficultés à avoir un enfant », s’est réjoui l’honorable Engelbert Essomba Bengono à la clôture de la session.
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Absentéisme
La problématique de l’absentéisme est revenue au centre des échanges. Si le président de la chambre basse du parlement n’est plus revenu sur cette question en juin comme c’était le cas lors de la session ordinaire du mois de Mars, les lignes n’ont pas bougé. On a noté à chaque fois des absences notoires au cours des plénières consacrées aux questions orales adressées aux membres du gouvernement ou lors des délibérations. Les seules fois où on a vu un hémicycle plein, c’était lors de l’ouverture de la session ordinaire le 07 juin et lors de la clôture le 06 juillet. « Qu’allez-vous dire aux populations qui vous ont donné mandat pour les représenter ? Quel compte rendu allez-vous faire ? », s’inquiétait le PAN en Mars dernier. L’honorable Adamou Koupit, de l’Union Démocratique du Cameroun (UDC), n’est pas insensible à cette question. Pour lui : « Ça dépend souvent des programmations. Le phénomène de déficit de présence physique s’observe beaucoup plus lorsqu’il y a des séances de questions orales. Cela n’empêche pas la légalité des travaux parce que la loi portant règlement intérieur permet aux députés qui sont indisponibles, de donner procuration à leurs collègues de voter en leur lieux et place. Quand on vérifie le quorum, on tient compte de ceux qui sont physiquement présents et de ceux qui ont formellement laissé procuration ».
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La vie toujours chère
Entretemps, la situation au sein des ménages se dégrade. Des familles entières peinent à manger à leur faim. Les prix pratiqués sur les marchés sont de plus en plus hors de portée. Les prix des denrées de première nécessité ont flambé. Comme lors de la session de Mars, celle de juin s’éclipse sans proposer des solutions pratiques. Le marché international est influencé en grande partie par la guerre russo-ukrainienne. « Les taux du fret maritime à destination de l’Afrique ont connu au cours de l’année 2021, un bond de 200% à 400% tandis que les prix des matières premières et des denrées de première nécessité se sont envolés. Cela a conduit à une dérégulation sans précédent des voies d’approvisionnement des marchés internationaux avec pour conséquence le renchérissement ininterrompu du prix des denrées de première nécessité », a souligné le ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana, devant la représentation nationale. Avec un faible pouvoir d’achat et un Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) fixé à 36000 Fcfa, les camerounais moyens sont au bord du gouffre.
Une réflexion est d’ailleurs en cours depuis quelques semaines entre le ministre du Travail et de la sécurité sociale, Grégoire Owona, le patronat et les organisations syndicales des employés dans le but de revaloriser le Smig. « Le Smig est une norme nationale. On s’est demandé s’il ne faut pas avoir plusieurs Smig par secteur. Le débat juridique s’est invité et on en est encore là jusqu’à aujourd’hui. Ce n’est donc pas une affaire simple. C’est une affaire nécessaire pour revaloriser ce Smig. Nous avons eu une réunion avec le patronat et les conférences syndicales des employés… Le seul point d’accord qui s’est dégagé c’est qu’il faut augmenter le Smig qui est très bas », a confié le ministre. Les entreprises du secteur primaire sont à 40 000 FCfa alors que d’autres sont bien au-delà. La revalorisation du Smig va permettre aux uns et aux autres de résister face aux différents chocs qui secouent le socle social. Le montant n’a pas encore été fixé officiellement.
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Le budget de l’Etat en hausse
Même le budget de l’Etat a été ajusté au regard du contexte difficile qui prévaut dans le monde. Le projet de loiportant ratification de l’Ordonnance du 2 juin 2022 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi du 16 décembre 2021 portant loi de finances de la République du Cameroun a été adopté par le parlement. Le budget de l’Etat pour l’exercice 2022 a été révisé à 6 080,4 milliards de Fcfa contre 5 752,4 milliards de Fcfa dans la loi de finance initiale (LFI). On note une augmentation de 328 milliards de Fcfa en valeur absolue et de 5,8% en valeur relative. Dans ce budget révisé, la part du budget général est de 5 977,7 milliards de Fcfa tandis que celle des Comptes d’affectation spéciale est de 102,7 milliards de Fcfa. Malgré le ralentissement de l’activité économique et la prise en compte de nouvelles contraintes, les objectifs de politique budgétaire fixés pour 2022 n’ont pas changé : une baisse de la pression fiscale qui diminue de 0,3 points par rapport à l’objectif fixé en LFI, toutes choses qui traduisent la volonté du Gouvernement de maintenir ses finances sur le chantier de la consolidation budgétaire ; une inflation contenue en deçà du seuil de convergence de la Cémac ; un déficit budgétaire maintenu à 2% du Pib comme en LFI.
Insécurité alimentaire en question
Le ministre de l’Agriculture et du développement rural, Gabriel Mbairobe, a présenté devant la représentation nationale une vue panoramique de la situation alimentaire de notre pays. Les données sont inquiétantes. Une évaluation de la situation alimentaire réalisée au cours des mois de Mars et Avril 2022 a montré que : « 2 millions 800 000 personnes sont en situation de crise alimentaire. Environ 6 millions de personnes sont sous pression ; des personnes susceptibles de passer en situation de crise ». Le gouvernement a mis en place deux programmes à savoir : Facilité africaine de production alimentaire d’urgence avec l’aide de la BAD et le projet d’urgence de lutte contre la crise alimentaire. Évalués respectivement à 41 et 52 milliards de Fcfa, le gouvernement voudrait subventionner les engrais, aider les populations à mettre en place des activités pour faire face à la résilience. Le second projet est réservé exclusivement aux régions du Sud-ouest, Nord-ouest et de l’Extrême-Nord en proie à des crises sécuritaires depuis plusieurs années maintenant. Le rendez-vous a été pris pour la session de Novembre.
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