Pénurie de gasoil : peur sur l’industrie locale
Collecte et ramassage des ordures ménagères, fourniture de l’énergie électrique, production sucrière et de l’eau potable, etc., nombre de secteurs productifs ont cessé de tourner à plein régime du fait du rationnement de l’approvisionnement des usines en fuel lourd depuis le début de la guerre en Ukraine.
Mardi 18 avril 2022, rond-point Nlongkak à Yaoundé. Aux environs de 16h, des dizaines de camions de la société de ramassage des ordures ménagères Hysacam, sont alignées de part et d’autres de ce grand giratoire. Sur les terre-pleins, les accotements, aux abords de l’essencerie, chauffeurs et éboueurs devisent sur une situation qui devient intenable. «Si on ne parvient pas à carburer ce soir, les équipes de nuit ne pourront pas effectuer de navettes ; le gasoil se fait de plus en plus en rare dans les stations-services et le fournisseur ne parvient plus à nous livrer convenablement», se plaint un petit groupe agglutiné derrière les camions en attente de passer à la pompe.
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En fait, s’ils se sont retrouvés à cet endroit par dizaines, c‘est qu’ils ont reçu une information annonçant l’arrivée du gasoil dans cette essencerie. «Si on ne se dépêche pas, nous ne pourrons plus enlever les ordures dans les rues de la capitale. Tous nos camions fonctionnent au gasoil du coup, on est à la chasse», souffle un autre. Le même jour, le concessionnaire de l’énergie électrique, Enéo, fait savoir dans un communiqué «que des contraintes dans l’approvisionnement en combustibles vont impacter la production de sa centrale thermique de Limbe à partir de ce lundi 18 avril 2022. (…) De ce fait, le déficit de l’offre sera accentué dans les régions du Littoral, du Sud-Ouest, de l’Ouest et du Nord-Ouest».
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Cette sortie du fournisseur public de l’énergie électrique au Cameroun, fait suite à l’annonce du mois de mars dans laquelle, la compagnie alertait déjà sur la pénurie de combustibles à la société camerounaise des dépôts pétroliers. Du coup, l’approvisionnement des marketeurs en fuel lourd que sont Total, Ola et Neptune Oil, fournisseurs de ces centrales thermiques, sera rationné et entraînera des délestages. «Le déficit de l’offre sera accentué dans les régions du Littoral, du Sud-Ouest, de l’Ouest et du Nord-Ouest.»
Un mois plus tard, en plus des centrales thermiques, c’est le ramassage des ordures qui s’en trouve affecté par les difficultés d’approvisionnement du pays en gasoil. Car, le 19 avril, c’est autour du quartier Nsam d’accueillir le cortège des véhicules de Hysacam près d’une station-service. Le flair de la compagnie, bien qu’ayant reçu 3000 litres de gasoil le week-end dernier, l’amène à s’aligner partout où ce carburant est annoncé dans les cuves. En fait, depuis quelques semaines, automobilistes et industriels crient aux difficultés d’approvisionnement en gasoil sans que rien ne change.
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Et pour ne rien arranger, la société sucrière du Cameroun (Sosucam) a annoncé le 23 avril qu’elle suspendait la production dans son usine de Mbandjock. La note d’information signée du directeur général adjoint, le 22 avril 2022, portant suspension temporaire des activités de l’usine de Mbandjock dans la région du Centre, pointe un doigt accusateur sur la pénurie. «Depuis le début de la semaine en cours, nous vivons des restrictions dans les livraisons de carburant qui nous ont amené aujourd’hui à un niveau critique. Depuis hier, notre fournisseur de carburant ne parvient plus à honorer les livraisons journalières de carburant nécessaires pour notre exploitation», prévient Emmanuel Castells.
D’après lui, pour faire face à cette situation et en attendant d’avoir une meilleure visibilité, l’usine de Mbandjock va temporairement suspendre son fonctionnement dès ce jour. Cette mesure conservatoire sera levée dès la reconstitution d’un stock et la reprise régulière de livraison par le fournisseur», tranche le Dg adjoint. Et le temps d’un week-end, l’entreprise a signé la reprise des activités dans son usine de Mbandjock, après avoir reçu 222 000 litres de gasoil par son directeur général, Samuel Second Libock, dans une note ce 25 avril.
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À Douala, Yaoundé, Maroua, Ngaoundéré, Bertoua, Belabo, Batouri, Garoua, ou Bafoussam, le gasoil se fait rare. Les transports, la logistique, l’énergie électrique, les industries sont toutes à la chasse du gasoil dans une essencerie ou chez un fournisseur potentiel. Certaines compagnies dans la ville de Douala se veulent encore prudentes pour ne pas alarmer le marché. Mais des rationnements sont déjà perceptibles dans certains secteurs.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, les bouleversements du marché pétrolier ont porté leur ombre sur les pays africains importateurs de carburant dont le Cameroun qui dispose d’une raffinerie handicapée de son cœur depuis l’incendie du 30 mai 2019. Les factures énergétiques ont considérablement bondi en raison de l’envolée spectaculaire et instable des prix du brut, frôlant les 140 dollars le baril, pas loin du record de 147,50 dollars enregistré en 2008.
Et selon un expert en industrie pétrolière tunisien cité par Jeune Afrique, les pays africains importateurs de pétrole, dont les ressources financières sont limitées, notamment, l’Afrique du Sud, la RD Congo, le Maroc et la Tunisie, le Cameroun, seront les plus exposés à la flambée des prix et à la pénurie de carburant. Malgré tout, le gouvernement rassure sur l’approvisionnement progressif du marché et projette un retour à la normale dans les semaines à venir.
Vraie pénurie, fausse piste
Au Cameroun, l’Etat met à l’index les exportations illégales susceptibles de perturber l’approvisionnement du marché local en produits pétroliers. «La vente des produits pétroliers dans des bidons ou tout autre contenant pour des destinations hors du territoire national est strictement interdite ; les sociétés agrées à l’exportation des produits pétroliers sont tenues de présenter l’autorisation exclusive du ministre de l’Eau et de l’Énergie lors des contrôles des administrations », se défend-il après avoir nié la pénurie durant des jours et tentant de rassurer l’opinion. Alors même que le ministère de l’Economie, a publié un document permettant de se rendre compte que la situation est grave en raison de la guerre en Ukraine.
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En plus des fraudeurs, les conditions climatiques n’arrangent pas la situation. Une source à la société camerounaise des dépôts pétroliers (SCDP), attire l’attention sur les raisons de la croissance de la consommation quotidienne d’Eneo. En fait, avec la baisse du niveau d’eau dans les barrages hydroélectriques, le concessionnaire public a eu recours au thermique pour alimenter le pays. Ce qui entraîne une augmentation exponentielle de la consommation de gasoil. Selon la SCDP, la demande journalière d’Eneo en fuel lourd est passée d’environ deux millions de litres à 3,5 millions de litres. De plus, avec les restrictions environnementales, les raffineries africaines se mettent au vert et ne parviennent pas à satisfaire la demande des marchés.
Celles-ci, groupées, assure-t-on à la SCDP, ne peuvent pas sur le continent, ne disposent pas de capacités de production susceptibles de satisfaire les besoins de tout le continent en raison des restrictions occidentales sur les importations de Russie qui produit 85% à 90% du brut raffiné dans la monde.
Selon le ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana, pour maintenir inchangés les prix des carburants actuellement pratiqués à la pompe, l’État qui importe depuis toujours les produits blancs, devrait dépenser 672 milliards de FCFA en termes de subventions en 2022, soit 376 milliards uniquement pour le gasoil. La provision budgétaire destinée à la subvention des carburants a été établie à 120 milliards de FCFA, soit des dépenses supplémentaires de 552 milliards de Fcfa.
Simon Pierre Mbarga