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Albert Zeufack : « l’Afrique doit changer sa politique commerciale »

En visite de travail au Cameroun du 24 février au 4 mars dernier, pour présenter aux autorités locales sa dernière publication intitulée « Nouvel environnement commercial de l’Afrique en cette période perturbée », l’économiste en chef de la Banque Mondiale pour l’Afrique a marqué un temps d’arrêt pour s’entretenir avec quelques médias locaux sur la problématique de la transformation structurelle des économies africaines.

Sur la base de votre récente publication, pourriez-vous nous dire quelle place l’Afrique occupe-t-elle concrètement dans le commerce international ?

L’idée de ce livre nous est venue de 3 chiffres qui nous ont perturbés. Le premier chiffre est que l’Afrique contribue seulement à hauteur de 3% au commerce mondial et ce chiffre est à 3% depuis plus de 60 ans. On n’arrive pas à dépasser ce pourcentage en dépit de tous les efforts dans l’augmentation de la production. Ceci veut en fait dire que la valeur de nos exportations est restée faible même si elles augmentent en volume, la valeur est très faible. Le deuxième chiffre encore plus troublant c’est que l’Afrique ne représente que 2% des exportations mondiales et 1% des exportations de produits manufacturiers. L’Afrique en fait lorsqu’elle participe au commerce mondial absorbe, importe tout ce qui a de la valeur et exporte ce qui a très peu de valeur. Voilà pourquoi notre participation au commerce mondial ne nous sert pas et la pauvreté ne recule pas suffisamment. En Afrique subsaharienne dans son ensemble, on a un taux de pauvreté de 40% en moyenne et ça reste élevé alors qu’il y a des pays d’Asie du Sud-est qui sont arrivés à l’indépendance au même moment que l’Afrique et aujourd’hui certains ont complètement éradiqué la pauvreté. Partant de ces chiffres qui sont préoccupants, nous nous sommes demandé qu’est-ce que l’Afrique peut faire pour commander une part plus importante du commerce international.

Justement, comment l’Afrique peut-elle tourner sa participation au commerce international en un vecteur de croissance ? C’est la réponse que ce livre apporte en gros.

Concrètement, nous proposons 4 solutions.

La première c’est un changement radical de la politique commerciale des pays africains. Elle doit évoluer et surtout prendre en compte les changements de l’environnement du commerce international. Les chocs exogènes comme le Covid-19 survenu en 2020, ont amenés à un arrêt brutal dans les chaînes de valeur. Des chocs comme la montée du protectionnisme dans les marchés traditionnels. On a vu des élans protectionnistes aux États-Unis, dans certains pays d’Europe et même en Asie sur l’accès des produits. Il y a la quatrième révolution industrielle qui pour certains pays amènent à une déstabilisation du tissu productif et amène à une relocalisation de certaines industries. Et donc nous proposons un changement d’approche dans la politique commerciale africaine.

Deuxième chose nous proposons une réévaluation des accords commerciaux que l’Afrique a signé avec les différents partenaires pour s’assurer que ces accords s’alignent avec les objectifs des pays africains actuels qui sont la transformation économique, l’industrialisation, la création d’emplois pour la jeunesse et pour la population. Est-ce que ces accords commerciaux que nous avons signés s’alignent avec ces objectifs ? Lorsque nous les évaluons, les réponses sont assez mitigées. Très peu de pays africains bénéficient pleinement de ces accords commerciaux et certains d’entre eux ossifient l’économie africaine à l’exportation de la matière première et l’importation les produits transformés ; ce qui ne permet pas le développement structurel. Nous étudions en détail l’accès au marché américain à travers l’Agoa et il se fait que beaucoup de pays n’arrivent pas à atteindre leur quota d’exportation vers les Etats-Unis ; la raison principale étant le manque de structure de production, le manque de capacité productive. Pour cela, nous suggérons que les pays africains puissent forcer leur capacité productive surtout dans le secteur manufacturier pour pouvoir prendre parti et s’accaparer de ces facilités de ces accords.

Le troisième message de ce livre est que les pays africains doivent se positionner stratégiquement pour capter des parts dans le marché émergent. Je précise que la contribution de l’Asie au commerce mondial a dépassé celle de l’Europe et des Etats- Unis dès les années 2010. C’est à dire que le marché le plus important aujourd’hui est en Asie. C’est important que les pays africains anticipent cette évolution pour pouvoir négocier l’accès à ce marché parce qu’il n’est pas donné sur un plateau. Si on ne négocie pas cet accès, nous risquons de transformer la zone continentale de libre échange qui a créée, pour importer les produits manufacturés asiatiques plutôt que de négocier un marché où nous pouvons avoir accès pour nos produits manufacturés. La dernière suggestion c’est de saisir l’opportunité de la Zlecaf pour s’assurer que l’on développe des chaînes de valeur régionale qui peuvent être un tremplin vers le marché international mais plus encore en intensifiant le commerce intra-africain qui permettra de réduire la volatilité de nos exportations.

Le protectionnisme ne serait-il pas une solution pour accroître la participation de l’Afrique au commerce mondial ?

L’Afrique doit être félicitée pour avoir décidé de créer le marché commun africain au moment où tous les autres pays érigeaient des barrières. Ceci est très important parce qu’au moment où on lance la Zlecaf, les Etats-Unis sont dans une lancée de protectionnisme ; il y a une guerre entre les Usa et la Chine et au même moment, certains pays européens étaient en train de fermer leur marché. La Zlecaf devient donc une bouée de sauvetage si jamais on peut adresser les problèmes qui entravent le commerce intra- africain ceci parce que 54 économies en Afrique et 48 en Afrique subsaharienne sont extrêmement petite pour l’économie et non pas une taille de marché capable de développer une industrie en soi. Et donc créer un marché d’1 milliard d’habitants devient une perspective attrayante pour l’industrialisation de l’Afrique. Nous pensons que la Zlecaf est un pas vers la bonne direction. Une fois que ce marché commun est établi, la réduction des barrières non tarifaires sera d’une importance capitale.

Quid des barrières non tarifaires ?

Le problème des barrières non tarifaires c’est le manque d’infrastructures. Il faut connecter toutes les régions de l’Afrique tout en construisant des infrastructures pour pouvoir accélérer ce commerce. Il faut régler les problèmes de base des infrastructures tels que l’électricité. On ne peut pas être compétitifs lorsque les structures sont toutes obligées d’acheter les générateurs. L’on doit également développer le numérique qui facilitera davantage les activités des entreprises. Lorsqu’on continue d’éliminer ces barrières non tarifaires, l’une des choses qui vont être essentiel c’est de réfléchir sur la règle d’origine. C’est à dire que l’importation des produits dans ce marché commun devra définir les conditions de fabrication qui pourront être discutées de façon à promouvoir les produits locaux. Mais si la règle d’origine n’est pas bien négociée l’on risque de se trouver dans une situation où on a un dumping des produits à bas prix et à basse qualité sur ce marché continental qui va décourager l’industrialisation du continent. Comme réponse à la question, je dirais l’Afrique doit mieux revaloriser ses conditions d’accès au marché commun et l’Afrique doit se concentrer davantage à éliminer les barrières non tarifaires à l’intérieur de ce marché commun.

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