Filière sucrière : la colère des coupeurs de cannes fait reculer la Sosucam
Las des licenciements «abusifs» et de continuelles demandes d’explications et mises à pied, les coupeurs de canne ont pris d’assaut une partie des installations de la société sucrière à Nkoteng, mercredi 23 février 2022, procédant au passage à la destruction de plusieurs biens. Une attitude qui a poussé l’entreprise parapublique à implémenter des mesures d’apaisement.
La ville de Nkoteng, située dans le département de la Haute-Sanaga, région du Centre, est une petite bourgade qui compte moins de 100 000 âmes. Cette agglomération ne doit sa renommée nationale qu’au fait qu’elle abrite l’une des antennes de la Société sucrière du Cameroun (Sosucam), filiale du groupe français Somdiaa. Habituellement paisible, la ville est sortie de sa léthargie ambiante, mercredi 23 février 2022, à cause d’un mouvement d’humeur initié par des travailleurs saisonniers recrutés par la Sosucam pour la récolte de cannes dans les plantations de la société. Selon des informations récoltées auprès de sources qui ont requis l’anonymat, ce débrayage sous-tendait des revendications corporatistes. Les coupeurs de canne qui en sont à l’origine, réclamaient l’annulation des demandes d’explications et autres ruptures unilatérales de contrat pour des motifs qu’ils estiment saugrenus
Origine du mouvement d’humeur
Selon l’un de nos interlocuteurs, au début de chaque campagne sucrière, la Sosucam recrute des travailleurs saisonniers qu’elle répartit selon des besoins dûment identifiés. «Sur nos lettres d’engagement, quand nous signons un contrat, il s’étale sur 9 mois. Nous avons commencé le travail le premier novembre 2021. Imaginez qu’à l’heure où je vous parle (vendredi 25 février 2021, ndlr), certains coupeurs de canne sont déjà en fin de contrat, à cause d’une mauvaise qualité de coupe. Ils disent mauvaise qualité de coupe, alors qu’on a une machine qui coupe la canne. Seulement, quand on n’a pas assez de boulot, on nous envoie aux divers. C’est-à-dire on nous envoie recycler les cannes que la machine n’a pas bien coupées. Mais à la fin on n’accuse pas le conducteur de la machine à couper, on vient plutôt accuser le coupeur qui coupe manuellement avec la machette en disant qu’il n’a pas bien fait son travail. On donne une demande d’explication ou on rompt brusquement le contrat». Indique notre source, qui précise par la suite que les résiliations de contrat sont entérinées sans aucune notification préalable. Face à cette situation, les coupeurs de canne à qui des lettres d’explications ont été adressées ainsi que ceux qui ont été licenciés se sont concertés, et ont par la suite décidé d’aller à la rencontre des administrateurs de la Sosucam, mercredi 23 février 2022, afin de trouver une solution consensuelle. Mais cette démarche qui se voulait essentiellement pacifique a rapidement tourné à l’émeute.
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«Le mouvement d’humeur a commencé aux alentours de 5 heures. Les coupeurs de cannes à qui on a remis des demandes d’explication sont allés vers le divisionnaire pour demander leur annulation car ils estimaient que le motif qui y figurait leur était étranger. Ce dernier a indiqué qu’il attend la réponse de la hiérarchie à qui il a soumis lesdites doléances. Les coupeurs de cannes sont allés le voir une deuxième puis une troisième fois, sans succès. Exaspérés, ils se sont jetés sur lui et se sont mis à le violenter. Il a réussi à s’échapper. Sa voiture a ensuite été vandalisée», révèle notre source.
Mesures d’apaisement
2 jours après les évènements décrits plus haut, la direction générale de la Société sucrière du Cameroun a officiellement réagi. Dans un communiqué publié vendredi 25 février 2022, l’entreprise parapublique donne sa version des faits sur les circonstances ayant conduit aux évènements du 23 février 2022. «Ce mercredi 23 février 2022, aux environs de 5H au lieu-dit «rassemblement» des ouvriers à Nkoteng, point d’embarquement des personnels vers les chantiers, certains travailleurs, contestant les demandes d’explication qui leur avaient été adressées la vieille, pour abandon de placement et refus de travailler en date du 18 février 2022 ont organisé un mouvement d’humeur. Rejoints par d’autres groupes venus des quartiers, ils ont empêché les encadreurs de vaquer normalement à leurs occupations et leurs collèges d’embarquer pour les chantiers, vandalisant au passage deux véhicules pick-up et trois motos appartenant à l’entreprise», peut-on lire dans ce document.
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Pour tenter de maîtriser les manifestants en furie, la Sosucam a sollicité l’aide des forces de maintien de l’ordre. Malheureusement, leur intervention s’est soldée par un drame. Nos sources indiquent que 4 personnes ont été grièvement blessées, dont un enfant qui a reçu un projectile au niveau de la tête. Ce dernier a d’ailleurs été évacué d’urgence dans une formation hospitalière de la ville de Yaoundé, où il a été immédiatement placé sous assistance respiratoire, précise notre informateur. Lesdites informations ne sont pas entièrement corroborées par l’entreprise. Si elle reconnaît que 4 personnes ont été blessées lors des émeutes, elle précise toutefois que les conditions dans lesquelles cela s’est déroulé restent encore à déterminer.
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Pour finir, après une réunion de sécurité tenue le 24 février 2022, à laquelle ont assisté le directeur général de la Sosucam, Samuel Second Libock, les autorités administratives locales, les forces de maintien de l’ordre et les délégués du personnel, la direction générale de la société sucrière du Cameroun a, dans une note publiée le même jour, annoncé l’annulation des procédures disciplinaires initiées à l’encontre de certains employés. Une enquête sera également ouverte afin d’établir les responsabilités. En outre, les doléances des coupeurs de cannes feront également l’objet d’un examen minutieux de la part des départements techniques de la Sosucam et des services de la délégation du Travail de la Haute-Sanaga. Des mesures somme toute heureuses pour les grévistes qui ont témoigné leur satisfecit en rentrant progressivement dans les champs pour s’acquitter de leur devoir. Ces derniers promettent cependant de descendre une nouvelle fois dans la rue, si les promesses qui leur ont été faites ne sont pas respectées.
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