Importations de blé : le Mincommerce impose un fournisseur de blé turc
Alors que le gouvernement s’arc-boute sur l’éviction des intrants russes très prisés par les meuniers camerounais, l’idée de la piste turque pour approvisionner les industriels du secteur pour la fabrication de la farine de blé ne rencontre pas l’adhésion des importateurs qui soulignent des risques de scandales et relèvent les incohérences et les curiosités de cette offre aux origines douteuses. Enquête.
Depuis deux semaines, le pays bruisse des menaces d’augmentation du prix du sac de farine de de blé de 50 Kg servant principalement à la fabrication des beignets (haricots), du pain et autres produits de pâtisserie par les meuniers. Si à ce jour, le coût de la baguette est resté inchangé, les spéculations et autres négociations pour infléchir la position des uns et des autres sont âprement menées. En fait, les meuniers font face à une augmentation vertigineuse de la tonne de blé sur le marché international.
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Du côté des industriels camerounais, la structure des cours du blé constitue un handicap dans la mesure où le prix Free on board (FOB) de la tonne de blé russe se négocie autour de 480 dollars, soit 600 dollars la tonne rendue au port de Douala (prix coût-assurance-fret (CAF). A la hausse des prix consécutive aux mauvaises récoltes et à une conjoncture internationale défavorable, il faut ajouter la taxe à l’exportation fixée par la Russie à 98,2 dollars la tonne et les probables quotas d’exportation mis en place par ce pays dont les produits sur l’année 2021 représentent 53% des parts de marché au Cameroun. Une conjonction de facteurs qui a conduit les opérateurs de la filière à se rapprocher du ministère du Commerce en vue de l’ouverture des négociations.
Genèse
«Nous avons saisi le gouvernement en vue de voir dans quelle mesure on pouvait bénéficier d’un accompagnement public pour aider la filière car la hausse sans précédent des cours du blé comparée à nos prix de vente de la farine créait en nous une crainte légitime et fondée de ne pouvoir couvrir totalement le marché à compter de janvier 2022; au cours des échanges, le Ministre du commerce a émis l’idée d’importer de la farine à prix hyper compétitif dont il se chargerait lui-même de la négociation, dans le but de combler le déficit de couverture annoncé.Est-il raisonnable de de proposer à un industriel qui a investi de fortes sommes d’argent dans son entreprise, qui attend de vous un accompagnement pour l’acquisition de sa matière première, d’importer en lieu et place de cette dernière le produit fini ? Y-a-t-il meilleur moyen pour tuer cette industrie ? S’interroge le secrétaire général du groupement des meuniers.
Mais les opérateurs ne démordent pas et proposent au ministre d’entamer des négociations avec l’ambassadeur de Russie pour infléchir la position des autorités de ce pays sur la taxe à l’exportation en vue d’avoir du blé russe à prix concurrentiel. À ce jour, les promesses du diplomate sont restées sans suite.
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Le 1er Octobre 2021 à l’invitation du Gicam, le Ministre du commerce a demandé aux différents secteurs d’activités frappés par l’augmentation importante de leurs intrants, de le saisir en formulant des pistes de solutions d’accompagnement de leurs secteurs, étant entendu que chacun d’entre eux a des spécificités propres, afin qu’il adresse à qui de droit les différentes requêtes pour des solutions adaptées à chaque secteur d’activité. Au groupement des meuniers, nous étions en avance sur cette demande du Mincommerce. Grande a été notre surprise de recevoir une mesure générale de neutralisation de l’impact de la hausse du coût du fret, prise par le Ministre des Finances. Cette mesure a eu un impact de toute petite importance dans notre secteur, exonéré de taxes et droits de douane.
Piste turque
Sur ces entrefaits, alors que les opérateurs attendent des mesures d’accompagnement, notamment une autorisation de répercussion sur leurs prix de vente d’une partie soit 3.000 F.CFA de leurs surcoûts de production qui s’élèvent à 4.500 F.CFA le sac de farine de blé de 50Kg, en lieu et place, le ministère du Commerce leur propose du blé fournit par l’entreprise turque Dharma. Selon des sources bien introduites, le mystérieux trader fait savoir au ministre qu’il dispose de deux variantes de blé : la variante N°1 à 410 dollars la tonne pour une quantité globale de 100 mille tonnes et la variante N°2 à 285 dollars la tonne pour un volume de 600 mille tonnes.
Au ministère du Commerce, les responsables interrogés sur la question confirment l’existence de cette piste. « Nous ne savons pas pourquoi ils font une fixation sur la Russie dont le blé coûte cher. Le ministre leur a proposé des traders turcs qui ont du bon blé à un prix compétitif ; mais on ne sait pas pourquoi ils tardent à entrer en contact avec eux », indique-t-on à la direction du commerce intérieur.
Curiosités
L’offre turque présente cependant de bien curieuses préoccupations. Les cotations que proposent ces fournisseurs sur la variante 2 sont anormalement basses par rapport aux coûts du marché. Selon un trader qui a requis l’anonymat, ce type d’écart est anormal avec ce qui se pratique sur le marché. Deuxièmement, l’achat de ce blé, est conditionné à l’ouverture d’une lettre de crédit stand-by du montant total de l’offre, c’est-à-dire 171 millions dollars USD, soit 102,6 milliards de FCFA auprès d’une banque locale. Outre le fait que les Meuniers ne disposent pas d’une telle trésorerie pour la présenter en garantie d’un tel paiement, mais ce mode de paiement est non seulement long à aboutir, or ils sont dans l’urgence, mais est soumis à prélèvement d’importants frais bancaires, du coup, ce qui peut être gagné à l’achat sera perdu en frais.
Toutefois, cette offre qui défie toutes les lois de la concurrence, frisant le dumping, va pousser certains traders à la questionner. Selon eux, ce fournisseur, Dharma en l’occurrence, serait propriétaire d’une fondation à but non lucratif qui bénéficierait des dons à travers le monde ; aussi aurait-il besoin de cet engagement pour aller prendre du blé chez des donateurs au franc symbolique dont la véritable destination est humanitaire.
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Si l’information est avérée, l’ampleur du scandale serait telle que toute l’interprofession serait alors trainée dans la boue, le président du Gicam, le gouvernement et toute la chaine d’importation et de fabrication du pain. Des conséquences en cascade qui déteindraient sur l’image de l’ensemble des industriels ainsi que sur l’image du pays si jamais le monde entier venait à réaliser que le Cameroun importe du blé de contrebande déguisée.
Au ministère du Commerce, malgré ces réserves, l’on maintient la piste turque au détriment des traders connus et reconnus. « Pour nous, les traders turcs vont livrer le blé ; donc il n’y a pas de problème bien que les négociations soient encore en cours sur les modalités », indique un cadre de la direction du commerce intérieur. Sur les origines de ce blé, on ne s’avance pas sur ce dossier dans ce département ministériel.
Au sein de l’interprofession, la lettre de crédit stand-by de 102 milliards de Fcfa est hors de leurs capacités de mobilisation des ressources; de plus, la situation d’urgence actuelle ne demande pas que l’on perde du temps en paperasse en ce sens qu’il il faut au moins trois mois pour qu’elle aboutisse.
Ainsi, si la piste turque est maintenue, préviennent les meuniers, il appartient à l’Etat d’apprêter la lettre de crédit stand-by au profit de son fournisseur, de réceptionner le blé livré afin de le revendre à un prix concurrentiel aux Meuniers. Pour l’heure, la proposition a été transmise en haut lieu et attend l’aval de la haute hiérarchie.
Accompagnement : les meuniers pour la suppression de certaines taxes
Parmi les taxes les plus querellées dans le régime des importations, il y a la taxe relative au programme d’évaluation à la conformité avant embarquement des marchandises en république du Cameroun (Pecae). Logé au ministère de l’Industrie et mis en œuvre par l’Agence des normes et de la qualité (ANOR), le Pecae est entièrement financé par les exportateurs via le paiement des honoraires à l’opérateur suisse SGS et au Burkinabè Intertek. Les exportateurs ont la responsabilité de démontrer la qualité de leur produit.
Le plancher des honoraires est de 175 218FCfa tandis que le plafond en fonction de la durée dans le secteur est compris entre 4 088 420 Fcfa et 4 591 699Fcfa. Annuellement, les opérateurs sont tenus de s’enregistrer dans le programme et les coûts des frais oscillent entre 219 023Fcfa et 245 984Fcfa. Cette grille tarifaire indicative n’intègre pas, selon l’Anor, les coûts liés aux tests en laboratoire, l’audit et l’évaluation lorsque cela doit être effectué. Ce qui pour les meuniers est non seulement une surprise mais également énorme au regard du volume des cargaisons qu’ils font rentrer au Cameroun.
«Le blé a toujours été exclu du champ d’application du Pecae depuis 2015 parce qu’il n’est appliqué qu’aux marchandises dont la norme a été rendu d’application obligatoire. Or, sur le blé, il n’y a pas de norme. Mais à notre grande surprise, le Pecae est rendu applicable sur toutes les marchandises, y compris donc celles qui n’ont pas de normes ; il faut déjà que la norme existe pour qu’on la rende obligatoire. Malheureusement, cela arrive au moment où nous subissons une augmentation vertigineuse des cours du blé. Et tout ce que l’exportateur paie en analyses, il le répercute intégralement sur les importateurs. Donc, ce que nous demandons c’est que le Pecae ne soit pas appliqué sur le blé parce que, nous éprouvons des difficultés à acheter notre matière première. Nous demandons sa suspension, entre autres mesures d’accompagnement sur le blé, le temps que le cours du blé revienne à un niveau acceptable.»
Car, poursuivent les meuniers, entre le 1er trimestre 2021 et la fin d’année, les surcoûts de fabrication d’un sac de farine de 50Kg ont connu une augmentation de 2000Fcfa, passant soit de 4500 à 6500. «Il est vrai que nous avons bénéficié de l’attention du ministre au 1er trimestre 2021 ; cela s’est fait parce que les Boulangers ont concédé de garder inchangés et le prix du pain et son poids, mais le cours du blé continuant sa progression exponentielle, nous demandons un nouvel ajustement de 3000Fcfa sur le sac de farine de 50Kg non pas pour faire du bénéfice, mais pour continuer à ravitailler le marché intérieur. Mais nous voulons que cette augmentation soit supportée par tous les acteurs à savoir, l’Etat, les Meuniers, mais aussi les Consommateurs », explique l’interprofession des meuniers.
Pour ce faire, nous avons engagé des concertations avec les Boulangers et les Associations de défense des droits de consommateurs et nous pensons être parvenus à des propositions d’équilibre dont vous permettrez que nous réservions la primeur au Ministre du Commerce lors d’une concertation Mincommerce, GIMC, Syndicat National des Boulangers et Associations de défense des droits des consommateurs qu’il lui plaira de convoquer.
Au-delà de l’ajustement sur les prix de ventes du surcoût de production, des mesures fiscales sont également sollicitées. «Au cours de la dernière réunion à laquelle a été convié le Ministère des finances, le représentant dudit ministère est venu rappeler que le blé est exonéré des droits et taxes de douane et bénéficie d’autres mesures propres à ce secteur ; nous en avons déduit, nous espérons à tort, qu’il ne fallait rien attendre de ce département ministériel, indique M. Momo. Au moment où nous mettons sous presse, nous apprenons que la suspension de l’application du PECAE au blé pendant 6 mois a été concédé aux meuniers, tout comme la suspension de certaines taxes. Des aménagements « sans ajustements » qui selon les meuniers ne représente rien pour leur secteur.
Du côté des boulangers, la hausse du prix du pain n’est pas à l’ordre du jour. Toutefois, ils pointent un doigt accusateur sur les meuniers qui augmentent les prix régulièrement. Les Meuniers ne peuvent partager cette lecture biaisée de l’historique des prix de ventes de la farine et demandent aux Boulangers de ne pas se tromper de combat ni d’adversaire, Meuniers et Boulangers sont des maillons d’une même chaîne, l’un ne pouvant exister sans l’autre ; il serait néanmoins souhaitable que les Boulangers se remémorent les prix extrêmement bas dont ils ont bénéficié dans les années 2016 et 2017, au cours desquelles la farine s’est vendue à 12 500 F.CFA.
Mais là n’est pas l’enjeu, nous devons nous tenir par la main pour faire face ensemble à la très forte augmentation qui semble sans fin, du prix du blé car c’est ensemble que nous réussirons à encaisser ses répercussions sur nos ventes sur le marché domestique.
Simon Pierre Mbarga