Motaze/Mahamat Tolli : jusqu’où ira le bras de fer ?
La Cemac est au bord d’une crise politique, du fait de la décision du gouverneur de la Beac de mettre à la retraite le directeur national pour le Cameroun, contre l’avis du ministre des Finances qui demande une prorogation pour son compatriote depuis le 27 août 2021.
Sauf changement de dernière minute, le directeur national de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) pour le Cameroun, Blaise Eugène Nsom, frappé par la limite d’âge, devrait quitter définitivement ses fonctions le 31 janvier prochain. Ainsi en a décidé, le 06 janvier dernier, le gouverneur de l’institut d’émission de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), Abbas Mahamat Tolli, qui, en attendant la nomination et la prise de fonction du futur directeur, a désigné deux intérimaires pour la gestion des affaires courantes : Achille Zogo Nkada et Azafor Cho Emmanuel, en l’occurrence. Les deux étaient jusque-là 1er adjoint du directeur national en charge du pôle études et contrôle bancaire et 2e adjoint en charge du pôle exploitation, respectivement. Le gouverneur décide ainsi à rebours de la volonté du ministre des Finances du Cameroun (Minfi), Louis Paul Motaze, qui, depuis le 27 août 2021, avait sollicité du gouverneur de la Beac une prorogation d’un an pour Blaise Eugène Nsom, admis officiellement à faire valoir ses droits à la retraite en avril de l’année dernière.
Lire aussi : Nsom Blaise Eugène, choisi nouveau Directeur National de la Beac Cameroun
Le 11 janvier, le Minfi a saisi le gouverneur pour lui signifier qu’il regrettait que sa décision ait été prise et diffusée sans concertations préalables, comme cela est d’usage pour les fonctions de ce rang. « En effet, le directeur national est le représentant du gouverneur de la Beac, mais également un interlocuteur privilégié pour les autorités politiques, économiques, monétaires et financières du Cameroun. Au demeurant, ce désaccord rendu public, pourrait susciter l’étonnement de l’opinion nationale, sous-régionale et internationale d’une part, tout autant que celle des habitués à la prise de ce type de décision d’autre part. Aussi ai-je l’honneur, dans l’intérêt commun de la Beac, du Cameroun et de notre sous-région, de nous inviter à trouver une position partagée », écrit Louis Paul Motaze. Qui ne tarit pas d’éloges à l’endroit du directeur national sortant. Le Minfi révèle, pour motiver sa position, que « les autorités camerounaises apprécient les qualités professionnelles et humaines de monsieur Blaise Eugène Nsom. Sa collaboration et ses contributions à l’élaboration des réformes des finances publiques, notamment dans le cadre des programmes économiques et financiers menés avec le Fonds monétaire international (Fmi) sont capitales. A cet égard, il a toujours fait preuve de proactivité et de célérité dans le traitement des dossiers à lui confiés ».
Affront
Dans ce contexte, poursuit le ministre, « il nous semble indispensable de prendre le temps nécessaire pour évaluer de façon opportune, les options de son remplacement ». Avant la nomination des intérimaires, le 21 décembre 2021, le gouverneur de la Beac avait formellement écrit au Minfi pour lui faire part de ce qu’Eugène Blaise Nsom ne pouvait pas bénéficier d’une prolongation d’activité. Le membre du gouvernement a manifestement pris cela comme un affront. A en juger par le ton incisif de son nouveau courrier signé le lendemain et dans lequel il écrit : « Je voudrais informer que les termes de ma correspondance sus-évoquée [celle du 27 août, Ndlr] les orientations des hautes autorités de la République du Cameroun et sont, du reste, en conformité avec les aspects statutaires de la Beac relatifs à cet objet ».
Lire aussi : Cemac : l’indépendance de la Beac en danger
Louis Paul Motaze de signaler : « Au demeurant, ces hautes directives ne sont pas en contradiction avec les usages observés à la Beac quant à sa politique de départ en retraite du personnel pour laquelle les instances décisionnelles de l’institut d’émission ont constaté que certains de haut niveau avaient bénéficié des périodes de prorogation supérieures à trois ans, certains étant toujours en fonction ». Dans le fond, le Minfi soupçonne un traitement à deux vitesses des prorogations, au moment où plusieurs autres hauts responsables frappés par la limite d’âge depuis quatre ans pour certains et trois ans pour d’autres, restent en poste à la Beac. Au niveau central, l’on parle de près d’une dizaine de hauts cadres, dont le directeur de cabinet du gouverneur ou encore le directeur des ressources humaines. Selon nos informations, la prorogation est une vieille tradition au sein de la Banque des Etats de l’Afrique centrale. Directeur national pour le Cameroun de 1993 à 2008, Sadou Hayatou (de regrettée mémoire) avait quitté ses fonctions huit ans après son départ officiel à la retraite. Avant lui, Jean-Baptiste Assiga Ahanda avait également bénéficié de quelques années de prorogation.
Crise politique
Mais au terme du Sommet de N’Djamena en 2008, les chefs d’Etat avaient décidé de mettre fin à cette pratique. Successeur de son compatriote Jean-Félix Mamalepot à la tête de l’institut d’émission cette même année, Philibert Andzembe s’était plié à cette décision, et les personnes admises à faire valoir leurs droits à la retraite étaient désormais libérées par un processus automatique. Il en a été de même de son successeur, l’Equatoguinéen Lucas Abaga Nchama. Mais vers la fin de son mandat, entre 2015 et 2016, ce dernier instituera « des prorogations de confort, c’est-à-dire, si un cadre va à la retraite en septembre, il le fait partir en décembre. Si un autre doit aller en avril, il est libéré en juin ou juillet », explique un cadre de la Beac. Depuis l’arrivée d’Abbas Mahamat Tolli, en 2017, le système des prorogations annuelles semble à nouveau en vigueur. Mais le dossier Blaise Eugène Nsom semble montrer que leur gestion relève du pouvoir discrétionnaire du patron de l’Institut d’émission.
Lire aussi : Beac : le Cameroun demande la prorogation du mandat du Directeur National
Si pour Louis Paul Motaze, le fait de demander une prorogation pour son compatriote ne traduit aucunement une atteinte à l’indépendance de la Beac pour laquelle son pays est profondément attaché – il pense que de telles orientations sont par contre l’expression légitime des prérogatives des Etats -, cette affaire pourrait prendre une tournure inattendue dans les jours à venir et déboucher sur un incident qui plongerait la Cemac dans une crise politique.
Jean Omer Eyango