Campost : plus de 6 milliards FCFA détournés en 8 ans d’assistance technique
Des orientations du top management inappropriées pour développer les services et produits, rendant ainsi l’entreprise improductive et non rentable.
« Cette crise a atteint son paroxysme parce que notre directeur général n’écoute personne (…) Son management est catastrophique ». Ainsi, s’exprimaient certains employés de la Cameroon Postal Services (Campost), au lendemain de la grève enclenchée lundi 26 novembre 2018 sur l’étendue du territoire national. De l’avis de beaucoup de ses collaborateurs, le directeur général, Pierre Kaldadak, que l’on surnomme « Capi », n’en fait qu’à sa tête dans ses orientations managériales.
Depuis deux, la Campost a du mal à se déployer comme une véritable entreprise, malgré son potentiel. Le top management ne valoriserait pas ses propres produits. « Nous avons pourtant eu des possibilités de développer des produits et services au sein de notre entreprise, mais les dirigeants ont des orientations qui conduisent au fiasco », dénonce un cadre de l’entreprise.
Il prend exemple sur le cas « Melo », un service de mandats qui aurait pu contribuer à faire rentrer de l’argent dans les caisses. L’opération était aisée puisque ne nécessitant pas une connexion internet et l’énergie électrique. Son coût était ainsi le moins élevé au Cameroun. La présence de la Campost dans la quasi-totalité des arrondissements du pays était un atout indéniable. « Nous n’avons pas réussi à faire connaître ce service auprès des populations. Les dirigeants de l’entreprise n’ont pas mis les moyens adéquats pour qu’on y parvienne », regrette Serge N., un ancien de la boîte ayant dirigé des campagnes promotionnelles sur ce produit qui ont finalement été supprimées.
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Le peu d’offensive dont fait preuve la direction générale a conduit à la baisse des performances de la Campost. « Depuis près de trois ans, notre chiffre d’affaires est en baisse constante », indique-t-on. On peut observer ce manque d’offensive pour d’autres offres de services de l’entreprise. En janvier 2018, la Campost a signé un contrat avec le Guichet Unique pour que les opérations d’importations et d’exportations puissent être payées via le Campost money, mais jusqu’en cette fin d’année, la direction générale tarde à rendre le processus opérationnel. Ce paiement mobile est effectif dans de rares cas, comme à l’université de Yaoundé-2 Soa où les étudiants peuvent s’acquitter de leurs droits universitaires par la Campost.
Les mauvais choix managériaux de cette entreprise parapublique sont nombreux. Et il faut ajouter à cela une curieuse gestion des ressources humaines. Depuis plusieurs mois, les commerciaux de la Campost ne sont pas déployés sur le terrain. « Le DG en a décidé ainsi. C’est curieux pour une entreprise de services, qui de plus fait face à la concurrence. Nous sommes incapables de nous déployer pour rechercher de nouveaux partenaires et clients », déplore-t-on. De même, Pierre kaldadak a décidé réduire ou de supprimer les budgets de fonctionnement des antennes régionales. Conséquence, les recouvrements auprès des clients sont effectués avec peine.
La Campost est incapable de produire suffisamment de richesses pour vivre par elle-même, comme une véritable entreprise. Autre chose qui n’arrange pas la situation est le fait que l’Etat, qui lui doit déjà 18 milliards FCFA, ne paie pas de manière régulière le Service postal universel (SPU) dont le montant annuel est de 1,4 milliard FCFA. Entre temps, l’entreprise elle-même rencontre des difficultés à être payée par ses clients et partenaires à cause de l’absence de dossier fiscal, ce qui entraine la résiliation de plusieurs contrats ou encore la baisse des commandes. A ce rythme, susurrent les employés, la seule solution serait que l’équipe dirigeante change de cap dans sa manière de gérer la société ou alors que la tutelle prenne ses responsabilités et change le top management.
Plus de 6 milliards FCFA détournés en 8 ans d’assistance technique
Minette Libom Likeng, Louis Paul Motaze et Alamine Ousmane Mey, respectivement ministres des Postes et télécommunications (Minpostel), des Finances (Minfi) et de l’Economie (Minepat), ont récemment signé un contrat-plan pour la Cameroon Postal Services (Campost) afin de relancer cette entreprise parapublique en proie à d’énormes difficultés financières. Ledit contrat prévoit la restructuration organisationnelle, opérationnelle et technique de l’entreprise. Les actions à mener sont nombreuses : mise en place d’une gouvernance saine et compétitive ; maîtrise des charges d’exploitation pour les aligner sur les revenus ; amélioration de la performance ; apurement de la dette ; renforcement des fonds propres ; formation et renforcement des compétences commerciales et techniques du personnel…Ce qui coûtera à l’Etat pas moins de 23 milliards de FCFA à mettre à la disposition de Campost dès janvier 2019.
Autant le dire, le relèvement de la Campost a encore du chemin à faire. Pourtant, les initiatives pour y parvenir datent d’une quinzaine d’années. En mai 2004, un mois après sa création, l’on apprend qu’il faut 50 milliards FCFA pour relever l’entreprise, avec 15 milliards FCFA à défalquer dans l’immédiat pour assurer son fonctionnement, à très court terme. Le FMI et la Banque mondiale, déjà sceptiques quant à la réussite de la nouvelle structure, suggèrent aux autorités camerounaises de concéder les services financiers au secteur privé et de supprimer les subventions. Des recommandations qui n’ont jamais été prises en compte. Au contraire, l’Etat va s’engager dans un système d’assistance technique avec des partenaires étrangers qui ne vont pas satisfaire les ambitions du Cameroun.
Une première phase de restructuration de la Campost est confiée à la firme canadienne, Tecsult international à travers un contrat de gestion signé en octobre 2006. Ledit contrat expire en février 2009, dans un fiasco total. Le cabinet devait mettre en place la filiale des services financiers postaux ainsi qu’un système de traitement des réclamations, tout en faisant accroître le chiffre d’affaires de l’entreprise. Il n’y est pas parvenu. Pis, il s’en va en laissant un trou de plus de 2,2 milliards FCFA dans les caisses de l’entreprise.
Un an plus tard, en mars 2010, arrive la Sofrepost – filiale de la poste française – qui arrache le contrat de redressement de la Campost. La compétitivité de l’équipe dirigeante, la modernisation de l’outil de production et la diversification des produits de la Campost constituent son cheval de bataille. La nouvelle équipe donne à la Campost un peu d’équilibre avec la création, entre 2011 et 2013, de 850 000 comptes d’épargne et 56 700 comptes courants. De nouvelles activités sont développées : courrier rapide, transfert d’argent, assurance postale avec le concours de l’assureur Allianz… Directeur général à l’époque, Hervé Béril se satisfait d’une hausse régulière du chiffre d’affaires de l’entreprise de « pratiquement 20% en 2011 par rapport à 2010 » et « plus de 10% d’augmentation en 2012 ». Mais, la gouvernance dans la gestion n’est pas mieux que celle des Canadiens : près de 4 milliards FCFA sont détournés au cours de cette période par un réseau piloté par des cadres de l’entreprise, essentiellement ponctionnés au niveau du service bancaire.
Une prorogation de son contrat est tout de même accordée à la Sofrepost. Période au cours de laquelle les activités recommencent à stagner. Son contrat, arrivé à terme en mai 2016, n’est plus renouvelé et la Campost retrouve son autonomie managériale le 7 juillet de la même année, avec la nomination de Pierre Kaldadak à sa tête. Le nouveau DG hérite certes d’une entreprise sclérosée par les détournements de fonds, mais son management jugé sans souplesse par ses collaborateurs n’a pas arrangé les choses depuis deux ans.
En janvier dernier, lors d’une rencontre du comité interministériel chargé du suivi de la restructuration de l’entreprise, il avait été noté une baisse de production importante de la Campost, malgré certaines mesures prises. On l’espère que l’implémentation prochaine du contrat-plan va atteindre ses objectifs qui sont, entre autres : l’augmentation des ressources financières de la Campost ; l’amélioration de la qualité des services et des produits ; la rationalisation des effectifs, avec en ligne de mire la maîtrise de la masse salariale ; et l’augmentation des parts de marché et du chiffre d’affaires.
Quatre préavis de grève déposés en 12 mois par les employés
Les employés de la Cameroon Postal Services (Campost) peuvent parfois donner l’impression qu’ils passent plus de temps à faire grève que de travailler. C’est du moins la perception que peut laisser le rythme des mouvements de grogne sociale au sein de cette entreprise. En l’espace d’un an, les employés de la Campost ont en effet menacé, par quatre reprises, d’observer un arrêt de travail. La dernière menace en date, qu’ils ont finalement mise à exécution le 26 novembre 2018, a duré une journée. Le temps pour la direction générale et le ministère des Postes et des Télécommunications (Minpostel) de calmer les grévistes et de promettre des solutions à certaines revendications.
Pour une fois, le calme est revenu après le démarrage effectif de la grève. Même le paiement des salaires annoncé par le directeur général deux jours avant n’a pas permis de trouver un consensus in extremis, comme par le passé. Le 5 juillet dernier, le personnel de la Campost avait déposé un préavis de grève au Premier ministère, projetant un arrêt des activités dès le 23 août. Quelques heures avant, La ministre Libom Li Likeng et son équipe avaient réussi à convaincre les syndicalistes de l’Union Générale des Travailleurs du Cameroun (UGTC) de renoncer à leur mouvement, sous réserve de certaines solutions à leurs doléances. C’était le troisième préavis de grève en sept mois. Le deuxième avait été déposé le 11 janvier 2018 auprès du ministre en charge du Travail, quelques mois après celui de novembre 2017.
De manière globale, les employés ont quasiment les mêmes réclamations : paiement des reliquats de salaires gelés des personnels, paiement des arriérés d’allocations de congés, paiement des frais de relève du personnel affecté, reversement de la prime d’assurance maladie, paiement du solde de tout compte du personnel retraité ayant les dossiers à jour. Les employés ont ajouté, lors de la récente grève, des revendications portant sur le paiement des salaires mensuels dans les délais prévus par la réglementation ; la tenue de la commission d’avancement et de reclassement pour l’année 2018 ; le paiement du GAP relatif à la non application de la Convention collective des Banques et autres établissements financiers.
Dans le top management, l’on dénonce une mauvaise foi dans les revendications des employés. « La direction générale fait des efforts pour gérer la situation et satisfaire les désidérata des employés, même si ce n’est pas facile », réagit un directeur approché par Eco Matin. Il explique que, lorsqu’il y a possibilité, l’entreprise débloque des sommes importantes pour régler progressivement la situation. Il cite par exemple les 350 millions FCFA débloqués entre avril et juin 2018 pour payer, entre autres, les reliquats de salaires gelés du personnel, les arriérés d’allocations de congés des années 2015 et 2016, les arriérés de frais de relève du personnel affecté, etc.
Pour l’heure, l’intervention des pouvoirs publics aura permis de calmer le climat social à la Campost. Lundi dernier, il a été convenu, entre autres, de payer 5 mois des sommes gelées issues du protocole d’accord du 30 juin 2017 ; les 5 autres mois seront payés au plus tard en mars 2019. La direction générale s’est également engagée à payer le solde de tout compte des agents à la retraite ; de respecter les délais de paiement des salaires mensuels ; et d’appliquer, avant le 5 décembre, les résolutions de la Commission paritaire d’avancement et de reclassement consacrant la période de deux ans… En espérant que dans quelques semaines, l’entreprise ne sera pas de nouveau dans la tourmente des revendications sociales.
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