Tontines, mutuelles, ONG… : la fin de l’informel
Après avoir fonctionné à la manière des caisses populaires pendant des années, le gouvernement vient de décider de capter une partie du flux des ressources financières que brassent ces organismes à but non lucratif et dont la face solidaire dissimule des activités d’intermédiation financière qui évoluent au noir.
Depuis que certaines dispositions de la loi des finances 2022 concernant le régime d’imposition des organismes à but non lucratif ont envahi l’espace public, les tontines en l’occurrence, experts et membres de ce secteur croisent le verbe pour donner à voir sur les avantages et les inconvénients de cette mesure fiscale. D’après la loi des finances 2022, l’article 93 du Code général des impôts circonscrit les acteurs concernés par cette modification de cet article. Il s’agit des «associations de toute nature, de droit ou de fait, les mutuelles, les clubs et les cercles privés ».
Dans le détail, sont concernés, les ministères (Projets, Programmes, Régies, etc.), les collectivités territoriales décentralisées et établissements publics, les organismes sociaux (organisme de sécurité sociale), les mutuelles, les clubs et cercles privés, les organisations internationales, les ONG et les associations. Du coup, l’on comprend que l’Etat scrute des niches fiscales à même de lui permettre de capter le flux important de capitaux qui échappent à son contrôle. «Cela participe de la volonté de l’Etat d’amener tous les agents économiques à contribuer à la stratégie d’élargissement de l’assiette fiscale que supportent les contribuables», explique Dieudonné Essomba, économiste.
Pour les pourfendeurs de la mesure, la décision vise les tontines. «C’est une mauvaise décision, indique une présidente de tontine. L’Etat ne peut taxer l’épargne des personnes qui travaillent dur et qui se mettent ensemble pour réaliser des projets », tempête-t-elle. A la suite de cette responsable de tontine, d’autres acteurs pourfendent ces dispositions de la loi des finances et ne manquent pas de crier à la mort des épargnants.
«On taxe un investissement ou un intérêt (placement, etc.) la tontine est une épargne, ce n’est ni un investissement, ni un intérêt ou une valeur ajoutée. Si l’épargne dans les banques au Cameroun n’est pas taxée, pourquoi la tontine qui est-elle une épargne est taxée? La tontine est une épargne qui permet par exemple au pauvre de payer les études de ses enfants, de garder son salaire chaque mois pour se construire par exemple ce qui se projette là est criminel», rage un autre adhérent.
A la vérité, lorsqu’on lit bien le texte sur le régime des organismes à but non lucratif, dans le lot des organismes à but non lucratif, l’on retrouve les tontines. «Les tontines sont des associations de fait ; elles ne sont généralement pas déclarées auprès des autorités compétentes et fonctionnent ainsi dans l’informel », explique la direction générale des Impôts. Cependant, des précisions supplémentaires sont apportées. « Une tontine qui se limite à collecter l’épargne de ses membres et à la leur rétrocéder au terme d’une période, ne saurait voir ses membres taxés sur la rétrocession de leurs fonds puisqu’il s’agit d’une
simple épargne sans intérêt ; en revanche, et ceci n’est pas une nouveauté, toutes les activités commerciales des associations sont et demeurent passibles des impôts et taxes », poursuit la DGI.
Parmi les activités taxables au taux de 19,25%, l’on retrouve entre autres des ventes de tontines, vente de produits financiers, location de chaises, salles, animation culturelle. «Lorsqu’un organisme à but non lucratif, une tontine ou une mutuelle, possède une salle et la loue avec chaises et autre sonorisation, son objet social qui est à but non lucratif change. Elle exerce une activité commerciale qui fait concurrence aux hôtels. Imaginez ce que cela génère comme argent», indique Alexis Nankap, analyste de politiques économiques.
Les tontines, les mutuelles et autres organismes servent de crédit à la consommation pour leurs membres, de banque aux PME, de caisse d’épargne, voire de sécurité sociale. De plus, dans la pratique, ces organismes vont au-delà de la simple réallocation gratuite de ressources entre les membres et réalisent toutes sortent de transactions financières, qui vont du prêt d’argent à des placements collectifs. «Ce sont les bénéfices issus de l’activité de placement d’argent qui sont taxés et pas l’épargne parce que si au bout de l’année, vous avez réalisé un gain de 50 000Fcfa par exemple, c’est ce gain qu’on taxe et pas le principal », indique un économiste.
Pour Dieudonné Samuel Moth, économiste et député, «si vous prenez de l’argent en prêt, on vous précomptera les intérêts et la TVA et on vous remettra la différence désormais».
Ainsi, de l’avis du fisc, nombre de tontines exercent des activités de prêts, qui prennent davantage la forme de placement d’argent, et peuvent en tirer des revenus. Cela constitue une plus-value qui est taxable pour toute catégorie de personne. Le texte prévoit aussi que si une entité à but non lucratif, donc une tontine, exerce une activité commerciale rentable, elle paiera 15% d’impôts sur le revenu majoré de 10% de centimes communaux additionnels.
«Les tontines sont devenues une source de financement alternative et parfois onéreuse. Mais cet argent est parfois prêté pour un taux d’intérêt de 20% et même plus. Ce qui est au-dessus de la moyenne de 17% appliquée par les banques. Les tontines n’ont pourtant pas de grosses charges et réalisent des marges dont l’affectation n’est connue que des membres », souligne la direction générale des Impôts dans un communiqué.
«De fait, beaucoup d’associations qui réalisent d’importantes activités évoluent aujourd’hui dans l’informel. Le nouveau régime des organismes à but non lucratif, loin de leur porter préjudice, est donc une opportunité pour qu’elles se formalisent et deviennent des entités à part entière dans notre économie qui se modernise. Elles pourront dès lors bénéficier de tous les avantages légaux et même de la sécurité juridique nécessaire à ses membres en cas de conflit », tranche la DGI.
Entre pression et équité fiscale
La loi des finances 2022, telle qu’adoptée au Parlement, ne consacre aucun impôt nouveau notamment à l’endroit des organismes à but non lucratif. « Tous les impôts évoqués dans la loi étaient déjà dus. Il ne s’agit que d’une clarification ». Bien plus, assurent les services de l’assiette, ces impôts et taxes ont même été fortement diminués pour cette catégorie. Ainsi par exemple, «le taux de l’impôt sur les sociétés pour la part de leurs activités commerciales est réduit de moitié, soit de 30% à 15% ; le taux de l’acompte de l’impôt sur les sociétés pour la part de leurs activités commerciales passe de 2% à 1% ».
De plus, précise le fisc, ces organismes bénéficieront d’une exonération de certains prélèvements qui étaient jusque-là dus, notamment la patente et la taxe foncière. Ainsi, des organismes tels les mutuelles du Trésor, des Impôts, de la Douane, les associations culturelles des sociétés d’Etat, le Palais polyvalent des sports et autres clubs privés à l’instar du Lion’s Club, Croix-rouge etc., verront leurs activités de location de salle, de chaise taxées au taux de 19,25%. «Il y a des associations qui louent chaque semaine des salles à 500 000FCfa, en un mois, cela fait pas moins de deux millions de Fcfa. L’Etat n’avait rien dedans alors que les hôtels avaient des concurrents qui faisaient des profits sans rien payer à l’Etat », explique Alexis Nankap.
Le régime fiscal des organismes à but non lucratif vient corriger et combler un vide pour cette catégorie qui ne correspondait à aucun
régime existant auparavant : l’impôt libératoire (chiffre d’affaires inférieur à FCFA 10 millions) ; régime simplifié (chiffre d’affaires compris entre FCFA 10 millions et 50 millions) et le régime du réel (chiffre d’affaires supérieur à FCFA 50 millions).
Pour les services fiscaux, le nouveau régime va faciliter l’obtention de documents fiscaux comme la carte de contribuable nécessaire pour la réalisation des opérations économiques (ouverture de comptes bancaires, importations, achats de terrains, etc.), et l’attestation de non redevance sollicitée par ces organismes mais dont la délivrance était impossible avant cette réforme. Ils vont également bénéficier des exonérations prévues par la loi ainsi que des régimes incitatifs consacrés au profit de cette catégorie de contribuables.
La gestion fiscale de cette catégorie de contribuables qui, contrairement aux autres, ne réalise pas de chiffre d’affaires s’en trouvera améliorée ; l’on devrait aussi assister au renforcement du suivi des impôts et taxes éventuels dus par cette catégorie. De même, le traitement fiscal de leurs opérations sera harmonisé par tous les services. Le nouveau régime permet de lutter contre la concurrence déloyale des organismes qui, sous le couvert d’un objet non lucratif, réalisent des activités qui font concurrence au secteur commercial.
Simon Pierre Mbarga