Budget 2019 : le recouvrement de la taxe foncière confié à Eneo
Selon les fiscalistes, la taxe foncière est l’une des plus difficiles à administrer parce les moyens de contrainte sur les redevables sont souvent limités. Mais l’Etat a trouvé la parade…
Finis le temps où les agents des Impôts arpentaient les quartiers pour distribuer les déclarations pré-remplies de la taxe sur la propriété foncière (TPF) au Cameroun. Révolue également le temps où le fisc faisait les yeux doux aux propriétaires d’immeubles (bâtis ou non) pour s’acquitter de leur devoir fiscal, notamment l’année 2016 où les assujettis sur l’ensemble du territoire ont bénéficié d’une amnistie sur les arriérés de la TFP ; ou encore 2015 où le paiement de la TPF était restreint aux seuls villes de Douala et Yaoundé. Si loi des Finances 2019 est promulguée en l’état, du moins si les dispositions relatives à la taxe sur la propriété foncière ne sont pas modifiées, les Camerounais n’auront bientôt plus réellement le choix.
En effet, le gouvernement a décidé de changer les modalités de déclaration et de paiement de la TPF. Désormais, la taxe sur la propriété foncière est incluse dans les factures d’électricité. Concrètement, précise le Code général des impôts, «la taxe sur la propriété foncière telle que déterminée sur la déclaration pré-remplie du contribuable, est collectée par douzième par les entreprises de distribution de l’électricité à l’occasion de la facturation des consommations aux abonnés propriétaires. » En aucun cas, « le paiement de la facture d’électricité ne peut être dissocié de celui de la taxe sur la propriété foncière. » Anticipant sur les risques de querelles pour le cas où un locataire se trouverait à avoir obtenu un compteur à son nom, il est prévu que « sur présentation de son contrat de bail dûment enregistré, le locataire bénéficie d’un dégrèvement d’office de la taxe foncière indûment établie en son nom et incluse dans sa facture de consommation d’électricité. » Au cas où le montant correspondant à la taxe foncière indûment inclue dans la facture d’électricité du locataire a déjà été acquitté par celui-ci, ledit montant sera déduit de ses factures à venir.
Pour s’assurer qu’aucun propriétaire (bailleur) n’échappe à son devoir fiscal, le Code enjoint l’entreprise de distribution de l’électricité de « mettre à la disposition de l’administration fiscale l’ensemble du fichier de ses abonnés et toutes les informations nécessaires à l’établissement de leur taxe foncière. » Mieux, toute personne physique ou morale sollicitant un abonnement ou un branchement au réseau de distribution d’électricité est tenue de fournir à l’entreprise de distribution d’électricité, « sous peine d’irrecevabilité de sa demande », les informations nécessaires à l’établissement de sa taxe foncière. C’est dire que dès janvier 2019, les agents des impôts peuvent royalement se croiser les bras : Eneo (l’entreprise de distribution d’électricité) fera le reste…
Désormais, il ne s’agit plus seulement d’avoir une propriété dans un chef-lieu d’unités administratives ou dans les agglomérations bénéficiant d’infrastructures et autres services urbains tels que les réseaux de voies carrossables ou bitumées, d’adduction d’eau, d’électricité et/ou de téléphone. Même au village, si vous êtes abonné Eneo, vous êtes pris dans la nasse du fisc.
10 milliards de FCFA de taxe foncière en 2019, 50 milliards en 2021 !
Dans sa quête d’amélioration de la part des ressources internes au budget de l’Etat pour faire face à la chute des recettes d’exportation, le gouvernement entend ratisser large. La réforme des modalités de déclaration et de paiement de la taxe sur la propriété foncière s’avère être une opération très rentable pour le trésor public. Autrefois entièrement reversée aux collectivités territoriales décentralisées, dans le cadre du financement de la décentralisation, le produit de la TPF sera désormais partagé à parts égales entre le Trésor public et les communes. Selon l’article 583 ter(1) [nouveau, NDLR], «le produit de la taxe sur la propriété foncière est réparti comme suit : Etat : 50% ; Commune du lieu de situation de l’immeuble : 50%.» La part de l’Etat est ainsi revalorisée puisqu’en 2016, la répartition était de 40% pour l’Etat et 60% pour la commune du lieu de situation de l’immeuble. Par le passé, le produit de la TPF était reparti dans les communautés urbaines, à raison de 60% pour la Communauté urbaine; 20% pour les communes d’arrondissement et 20% pour le Feicom. Dans les autres villes, 80% de la TPF revenaient aux communes et 20% au Feicom.
Si l’Etat s’intéresse maintenant à cette taxe, c’est parce qu’elle va de plus en plus générer des recettes. En effet, dans le Mémorandum de politiques économiques et financières signé fin juin 2017 entre le Cameroun et le FMI pour la période 2017-2019, le gouvernement indique que « pour 2018 et 2019, le redressement budgétaire sera essentiellement porté par les mesures visant à accroître les recettes tout en contenant les dépenses et en améliorant leur qualité. » C’est donc dans ce cadre qu’il s’est engagé pour compter de la loi de finances 2018, à « développer le potentiel de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) en s’appuyant sur la taxe sur la propriété foncière (TPF) dont le système de recouvrement pourrait être réformé grâce à un partenariat plus approfondi avec la société de distribution d’électricité. »
Selon les simulations de la direction générale des impôts, «cette mesure pourrait rapporter environ 10 milliards de FCFA au budget de l’Etat en début de mise en œuvre (2019) et jusqu’à 50 milliards une fois pleinement déployée, ce dans l’hypothèse d’un partage de ressources avec les Collectivités Territoriales Décentralisées (CTD).» En d’autres termes, le produit de la TPF est projeté à 100 milliards de FCFA d’ici 2021… de quoi aiguiser l’appétit du gouvernement qui ne veut pas laisser un tel pactole aux communes, même dans la perspective du financement de la décentralisation.
Taxe foncière : ce qu’il faut savoir
Qu’est-ce que la taxe sur la propriété foncière ?
C’est un impôt sur le patrimoine foncier. La « taxe foncière » est prélevée sur les propriétés immobilières, bâties ou non, sur le territoire national.
Qui doit la payer ?
La taxe sur la propriété foncière est due par toute personne physique ou morale, propriétaire d’un ou plusieurs immeubles bâtis ou non, y compris tout « propriétaire de fait ». Le propriétaire de fait est celui en possession de l’immeuble, bien que ses droits ne soient pas encore établis par un titre foncier. Sont exemptés du paiement de la taxe foncière : l’État et ses démembrements, les organismes confessionnels, les associations culturelles ou de bienfaisance déclarées d’utilité publique (dès lors que leurs immeubles sont à usage non lucratif), certains opérateurs industriels ou agropastoraux et piscicoles, les organismes internationaux qui ont signé un accord de siège avec le Cameroun et les représentations diplomatiques (sous réserve de réciprocité).
Sur quelle base ?
La taxe foncière est assise sur la valeur du terrain et des immeubles qui sont édifiés. Elle est perçue sur la base de déclaration du propriétaire. Cependant, lorsque le contribuable n’a pas spontanément déclaré ou en cas de minoration, le décret du Premier ministre du 29 décembre 2006 fixant les modalités d’évaluation administrative des immeubles en matière fiscale présente les modalités de calcul de cette taxe et sert donc de base à l’imposition. Dans ce cas, la superficie du terrain rentre en jeu. Le prix appliqué au mètre carré peut se situer entre 1000 et 200 000 FCFA, selon le quartier de résidence. La qualité du bâti, des matériaux utilisés (ciment, terre battue, briques…), des revêtements (carreaux, vitres, marbre…) font aussi partie des critères. Enfin, le niveau de développement du quartier, selon que les voies d’accès sont bitumées ou non, influence le coût total de la taxe foncière.
Combien paye-t-on ?
Le taux d’imposition de la taxe sur la propriété foncière est fixé à 0,1% de la valeur de l’immeuble. Ce montant est majoré de 10% au titre des centimes additionnels communaux.