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Nelly Chatue Diop(Ejara) : « À travers la blockchain, nous voulons favoriser l’inclusion financière dans la Cemac et l’Uemoa »

La fintech camerounaise Ejara a annoncé le 7 octobre dernier, la réussite d’un tour de table de 2 millions de dollars pour dynamiser l'utilisation de services de cryptomonnaies et d'investissement en Afrique francophone. Cette levée de fonds a été principalement menée par CoinShares Ventures et Anthemis Group. Dans cette interview exclusive, Nelly Chatue Diop revient sur les contours de cette opération, la stratégie de déploiement de la plateforme et pose un regard sur la régulation des actifs digitaux en zone Cemac.

Vous venez de boucler, pour le compte de Ejara, une opération qui vous a permis de collecter un financement de 1,1 milliard de FCFA auprès de fonds européens. Quel processus a conduit à cette levée de fonds et à quoi cet argent devrait-il servir ?

Je suis rentrée au Cameroun pour me réinstaller il y’a un an et j’avais toujours au fond de moi ce doux rêve de mettre la technologie au service de nos marchés financiers naissants. Avec mon équipe, nous avons travaillé à construire « Ejara », une plateforme technologique basée sur la Blockchain qui permet à tout un chacun d’avoir un portefeuille numérique dont il est le seul détenteur et d’y stocker ses bitcoin, Ethereum… et autres actifs digitaux de manière totalement décentralisées. Nous n’avons jamais la mainmise sur ce que les clients possèdent. Nous avons beaucoup de clients qui s’approvisionnent sur des plateformes comme Binance et utilisent notre portefeuille sur lequel ils ont leur clé privée ce qui est très important parce qu’ils ne sont jamais soumis à un risque structurel de Ejara qui partirait avec leur fonds ou qui serait bloqué. Leur fonds sont stockés sur la Blockchain et avec leur clé privée ils peuvent retrouver leur argent quelque soit la plateforme sur laquelle ils vont. C’est le tout premier Wallet de ce type en Afrique.

« Nous allons sécuriser davantage notre plateforme ce qui suppose embaucher beaucoup plus de personnel »

Une fois qu’on l’a fait nous nous sommes dit qu’il faut bien y ranger des actifs et élargir notre horizon ; c’est ça qui a motivé notre levée de fonds. Nous sommes allés discuter avec les fonds de Private equity car vu la sophistication de ce qu’on faisait c’est plutôt des fonds très spécifiques qui pouvaient nous accompagner au-delà de l’aspect financier. Vous parlez d’argent mais moi je parlerai beaucoup plus d’accompagnements de nos partenaires qui viennent de grands pays comme les USA, la France ou la Nouvelle Zélande. Car à travers cette opération, nous avons mis autour de nous des partenaires stratégiques qui ont la connaissance, l’expertise que ce soit pour accompagner le grand public ou les institutions dans la sécurisation et la tokenisation (l’inscription d’un actif et de ses droits sur un actif numérique afin d’en permettre la gestion et l’échange en pair-à-pair sur une blockchain, de façon instantanée et sécurisée, Ndlr) des actifs financiers sur la blockchain.

Lire aussi : La start-up camerounaise « Ejara » lève 1,1 milliard pour faciliter l’accès aux services financiers en Afrique francophone 

Concrètement, à quoi vous servira l’argent collecté ?

Nous voulons sécuriser davantage notre plateforme ce qui suppose embaucher beaucoup plus de personnel. Nous allons également faire du marketing, aller chercher des agréments et agrandir notre champ d’action. Nous voulons nous étendre dans les 14 pays de l’UEMOA et de la CEMAC. La transparence et la sécurité intégrées de la blockchain combinées à la popularité des services bancaires mobiles en Afrique m’ont fait comprendre qu’une plateforme d’investissement mobile basée sur la blockchain était la clé pour étendre l’inclusion financière.

Le régulateur du marché financier de la Cemac(Cosumaf) estime que votre opération n’est pas légale puisque vous n’avez pas sollicité son autorisation préalable…

Il y’a un quiproquo et je crois qu’il est bon de faire des précisions à ce propos. Derrière notre levée de fonds, le régulateur entend « appel à l’épargne public » et j’imagine que le régulateur parle de l’épargne des camerounais ou des ressortissants de la Cemac. Or nous n’avons pas fait appel à l’épargne de nos concitoyens puisqu’aucun d’eux n’y a investi. Nous n’avons pas non plus fait de publicité dessus. Je suis allé directement contacter les fonds les plus pertinents à l’étranger qui pouvaient comprendre mon business model et m’accompagner dans la réalisation de celui-ci ;  c’est-à-dire mettre les innovations technologiques au service de l’émergence de nos marchés financiers.

Lire aussi : Nagoum Yamassoum(Cosumaf) : « Notre nouvelle règlementation prend en compte les crypto-actifs et sera disponible cette année »

Aujourd’hui plus que jamais, la Cosumaf est décidée à réguler la circulation des actifs digitaux dans la zone Cemac. Comment vous qui gérez ce type d’actifs accueillez-vous la nouvelle ?

Je suis très ravie parce qu’il était temps. Quand moi j’arrive au Cameroun et j’entends parler de crypto (Cryptomonnaie, NdlR), dans la plupart des cas c’est des pyramides de Ponzi. En aucun cas un acteur sérieux ne peut vous garantir un taux de rentabilité sur un actif qui est volatile. On ne peut pas garantir même sur le Bitcoin, un taux de 40 ou 30% 100% comme je le vois partout à un horizon illimité parce que c’est volatile ; parce que personne ne sait quel sera le prix du Bitcoin demain. Tout ce qu’on peut vous garantir c’est que les performances historiques de l’actif ont été fixées et que vous investissez dans quelque chose que vous pouvez posséder. Je suis ravie que les entités comme la Cosumaf, la Beac et la Bdeac prennent ce problème à cœur. Maintenant il est question d’échanger avec des acteurs sérieux qui veulent se positionner là-dessus.

« Il faudrait être irresponsable pour demander aux gens de mettre 100% de leur épargne dans la cryptomonnaie »

Ces actifs volatiles qui utilisent des très hautes technologies, ne sont-ils pas trop risqués pour le citoyen camerounais qui n’y comprend pas toujours grand-chose ?

Quand on parle d’investir dans la crypto-monnaie il faudrait être irresponsable pour demander aux gens de mettre 100% de leur épargne. On ne parle que de mettre entre 1 et 5% seulement maximum de l’épargne disponible qui ne sert pas à répondre à un besoin urgent parce que comme s’est volatile il n’y a pas un horizon de sortie garantie. Vous pouvez en 2 jours faire +100%, mais le lendemain faire de -100%. Si vous n’avez pas de visibilité sur l’épargne que vous avez mise sur ces actifs volatiles, vous êtes dans le pétrin et c’est bien pour ça que les acteurs qui accompagnent les investisseurs doivent être responsables. Il ne s’agit pas de prendre l’épargne de nos concitoyens pour promettre des gains astronomiques, il s’agit de faire en sorte que l’augmentation sous-jacente de la valeur des actifs qui sont investis et qui sont le fait de ceux qui y participent notamment en Europe aux USA et en Asie, pour pouvoir ramener cette richesse-là chez nous et financer l’économie réelle. C’est ça l’enjeu.

Lire aussi : La Cosumaf prépare un texte pour réglementer la circulation des cryptomonnaies dans la Cemac 

Quid de l’usage des cryptomonnaies, du fait de l’anonymat, pour alimenter le blanchiment d’argent ? N’est-ce pas un danger pour nos économies encore fragiles ?

Là-dessus il y’a énormément d’études qui ont été faites pour montrer que sur les transactions en dollars il y’a à peu près 5% de blanchiment d’argent or sur les transactions en crypto il y’a 0,5%. La différence  c’est que la crypto peut être tracée. On nous dit que c’est anonyme mais quand on est sur internet on laisse des traces et des données et donc derrière ces porte monnaies qui sont pseudo anonymes il y’a des êtres humains. Aujourd’hui le FBI arrête des cybercriminels qui ont utilisé des crypto parce qu’ils laissent des traces numériques. Quand on utilise du cash pour faire des transactions il n’y a aucune trace ; je vous assure que les plus grands terroristes utilisent l’euro, les dollars, etc. parce que c’est beaucoup plus sécurisé ça ne laisse aucune trace. Sortons de ce débat ; le blanchiment et le terrorisme existaient bien avant la crypto.

« Il y’a 5% de blanchiment d’argent avec le dollars et 0,5% avec les cryptos »

Quels sont les objectifs à court et long terme pour Ejara ?

A très court terme nous voulons obtenir les licences et agréments nécessaires pour opérer de manière saine pour être identifié comme un acteur sérieux. Parce qu’in fine on opère quand même sur le marché d’Afrique francophone et notre vision c’est de permettre l’inclusion financière, le financement de nos états et de nos entreprises. A moyen terme, l’objectif est de s’étendre, aller au-delà de nos frontières. Nous avons aujourd’hui la chance d’avoir une holding en France donc on a aussi sur la plateforme énormément de personnes de la diaspora. Moi j’ai cette vision d’avoir une plateforme inclusive qui réunit à la fois le personnel de la diaspora et des Africains des villes et villages qui peuvent tous ensemble construire le monde de demain grâce à leurs investissements, grâce à la diversification de l’épargne et grâce à la protection accrue qu’ils ont de l’épargne au travers des technologies qu’on utilise.

Lire aussi : Après la Cosumaf, l’Etat du Cameroun veut réguler la circulation des cryptomonnaies sur son territoire 

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