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Commerce illicite : enquête sur le trafic d’ossements humains à l’Est

Les trafiquants qui s’aventurent dans cette activité funeste proviennent généralement du Tchad, du grand Nord, de la Centrafrique et de certaines localités de la région telles que Kentzou, Batouri, Yokadouma, Moloundou. Mais ils terminent généralement leur course dans les filets des forces de défense et de sécurité en alerte dans la région du soleil levant. L’activité est visiblement lucrative pour ses pratiquants, et favorisent de ce fait une montée en puissance de la profanation des tombes dans la région. Et pourtant, cette activité est réprimée par la législation camerounaise, en l’occurrence l’article 274 alinéa 1 du Code pénal camerounais, avec une peine d’emprisonnement allant de 3 mois à 5 ans.

Carrefour Mandjou ce Jeudi 19 août 2021. Peu avant 15 heures 30 minutes, tout est calme. Les activités commerciales tournent normalement et les fidèles musulmans se dirigent en toute sérénité vers les mosquées pour la troisième prière du jour en conformité avec les prescriptions du Saint Coran. « Tout est calme ici à Mandjou», rassure Moïse Ndinga, chef de la communauté Gbaya. Même assurance du côté du chef de la communauté musulmane dont la chefferie fait office de place des fêtes du coin. Pour ces deux chefs de communautés, les derniers faits d’actualité remontent au 08 mars 2021, lorsqu’une fausse alerte relayée par la presse et les réseaux sociaux a fait état de ce que des rebelles en provenance de la République Centrafrique ont attaqué le Cameroun à Mandjou, alors qu’il n’en était rien. Tout comme les derniers affrontements avec mort d’homme, entre les Bororo et les Gbaya dans l’un des villages de Mandjou il y a quelques mois suite à une dispute banale.

Malgré ce calme apparent, l’arrondissement de Mandjou, situé à 5 kilomètres de Bertoua, chef-lieu de la région de l’Est est l’épicentre du trafic des ossements humains. « En réalité, si on parle des ossements humains ici, c’est parce que Mandjou est un grand carrefour qui accueille des voyageurs et des marchandises venant de divers horizons. Ceux en provenance de la partie nord dont le Tchad, le grand Nord, de la RCA, tout comme ceux en provenance de la partie Est, à savoir : Kentzou, Batouri, Yokadouma, Moloundou et même du Congo-Brazzaville voisin », rapporte un gérant d’un dépôt d’oignons. Selon ce commerçant, « grâce à la vigilance des forces de sécurité, (gendarmerie et police), plusieurs individus ont déjà été appréhendés avec des sacs bourrés d’ossements humains au carrefour Mandjou, en provenance des localités citées plus haut ». Ces individus mal intentionnés, apprend-on, dissimulent généralement leurs butins dans des sacs de voyage, des valises ou dans des sacs contenants des produits alimentaires comme le riz, le sel, le maïs et la farine entre autres.

A titre d’illustration, en fin d’année 2018, 05 personnes en provenance de Yokadouma et en possession des ossements humains soigneusement rangés dans des valises sont tombées dans les mailles de la police. En début d’année 2019, un suspect a été aussi interpellé au quartier Toungou aéroport à Bertoua pour les mêmes faits. Pendant la même période, deux cas d’interpellations des présumés trafiquants ont été enregistrés à Mandjou alors qu’un gang de trois individus qui tentait d’écouler des ossements humains avait déjà réussi à traverser ce carrefour, mais avait été rattrapé par la police au niveau des agences de voyage au quartier Bamvélé. Selon les autorités administratives locales, les personnes interpellées dans le cadre de ce commerce illicite sont généralement de nationalité camerounaise, centrafricaine et nigériane. « Ce sont des groupes mixtes. On y retrouve des compatriotes et des expatriés » affirmait Samuel Menobo au moment où il était Sous-préfet de cet arrondissement. Aujourd’hui et selon les sources de la gendarmerie, ce fléau est toujours d’actualité et les forces de sécurité veillent au grain, traquent et traduisent les suspects devant les juridictions.

Ampleur

L’interception par des forces de sécurité d’un gang de présumés trafiquants d’ossements humains à Foumban à l’Ouest du pays en fin 2018 en provenance de la région de l’Est, précisément dans l’arrondissement de Mandjou indique à suffisance l’ampleur qu’a pris ce phénomène. Selon les images et témoignages diffusés alors par une chaine de télévision, le gang avait réussi à traverser les régions de l’Est et du Centre avec leur butin mais a été cueilli à leur descente du car de transport dans la ville de Foumban suite aux informations reçues par les services de renseignement. Les membres dudit gang avaient affirmé à mondovision que le squelette humain entier qu’ils transportaient dans le sac coutait environ 7 millions Fcfa auprès de leurs clients. Au cours de la réunion de coordination administrative et le comité de coordination opérationnelle du département du Lom-et-Djerem après cet épisode, le phénomène du trafic des ossements humains est revenu sur la table. Selon le diagnostic fait par Yves Bertrand Awounfac Alienou alors préfet du Lom-et-Djerem, même si les populations de ce département sont en train de vaquer tranquillement à leurs occupations en début d’année 2019, l’année 2018 quant à elle a été marquée par la recrudescence de la criminalité. A cet effet, « la profanation des tombes, le trafic des ossements humains, l’enlèvement et les prises d’otages avec demande de rançon, l’éboulement des trous d’or, les coupures intempestives de l’électricité, la corruption et le rançonnement dans les services publics ont été observés ». Parlant spécifiquement du trafic des ossements humains, le préfet avait alors affirmé que le phénomène est très répandu dans les localités de Garoua-Boulaï et Mandjou. Deux unités administratives qui ont connues un flux massif de réfugiés centrafricains parfois soupçonnés d’être les auteurs de plusieurs actes de criminalité.

La profanation des tombes s’enracine

Les millions de Fcfa générés par cette activité a fait naître le phénomène de profanation des tombes sur le plan local. Au niveau des cimetières musulmans de Mandjou bâti sur une superficie de deux hectares situés à environ deux kilomètres de la ville, tout comme celui de Bertoua situé au quartier Monou II, le phénomène est régulièrement signalé. Un fléau favorisé par les mesures de sécurité inadéquates de ces lieux d’inhumation. « Vous allez constater que ces cimetières sont en plein air sans clôture ni vigile. Chaque fois qu’il fallait venir ici pour inhumer un corps on observait qu’il y avait toujours des tombes profanées », indique un habitant de Mandjou. L’autre constat c’est que cette profanation des tombes a engendré un autre trafic. Celui des stupéfiants. « Le plus souvent, ces malfrats se droguent avec le chanvre indien ou le Tramadol avant de commettre leurs forfaits dans les cimetières. C’est pourquoi la vente de drogue est aussi répandue ici à Mandjou », précise l’un de nos interlocuteurs.

Pour lutter contre la profanation des tombes et sur instruction du gouverneur de l’Est, les autorités administratives locales ont pris des dispositions au fil des années dans l’arrondissement de Manjou. « Nous avons convoqué des réunions et nous avons prescrit que désormais des tombes soient plus profondes pour que les corps soient à l’abri de ces malfrats, que les cimetières soient gardés par les gardiens. Nous avons demandé aux populations d’être courageuses en dénonçant toute personne suspecte » indique le sous-préfet de Manjou. Aussi, les autorités municipales, et les leaders religieux sont mis à contribution pour mettre un terme à ce phénomène qui prend de l’ampleur. « Nous avons demandé aux Pasteurs, Prêtres et Imams de sensibiliser leurs fidèles dans les lieux de culte au cours de leurs prédications » précise l’autorité administrative.

Ce que dit la loi

Selon l’article 274 alinéa 1 du Code pénal camerounais, « celui qui viole des tombeaux ou sépultures, profane tout ou partie d’un cadavre humain, enseveli ou non est puni d’un emprisonnement de 3 mois à 5 ans et d’une amende de 10.000 à 100.000 FCFA ». Pour les observateurs, cette disposition de la loi n’est pas assez forte pour décourager les trafiquants d’ossements humains au regard des millions de Fcfa que l’activité génère. Ce qui explique également la détermination et la capacité des trafiquants à corrompre tous ceux qui constituent un obstacle à leur business. « Comment imaginer qu’on peut transporter des ossement humains de l’Est jusqu’à l’Ouest. Ça veut tout simplement dire que certains hommes en tenue aux différents points de contrôle n’ont pas fait leur travail ou alors ils ont laissé passer contre un pot-de-vin », conclut un observateur.

Martin Foula

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