Culture du tabac : les producteurs de l’Est réclament 500 millions aux entreprises
D’un côté, plus de 3000 planteurs du tabac dans le département de la Kadey réclament des centaines de millions d’arriérées de leur production collectées par certaines sociétés commerciales depuis plusieurs années. De l’autre côté, le ministère de l’Agriculture et du développement rural a instauré la délimitation du périmètre d’action des compagnies autour des centres de traitement de tabac à 50 kilomètres. Un climat conflictuel né de cette violation de la loi N0 95/11 du 25 juillet 1995 sur la commercialisation des produits de base hypothèque la perspective de relance de la filière par une entreprise à 100% camerounaise pour promouvoir l’entrepreneurial local prôné par le chef de l’Etat.
Un climat délétère règne actuellement dans la filière tabac dans la région de l’Est. Les acteurs se regardent en chien de faïence. En effet, les planteurs, maillon essentiel de la chaine de production du tabac, sont en colère contre certaines sociétés commerciales qui ont collecté leur production depuis plusieurs années mais n’ont jamais payé intégralement l’argent correspondant aux quantités collectés. « Personnellement, j’exige la somme de 1.350.000 F .Qu’on arrête la duperie. Beaucoup de nos parents sont morts abandonnant ces attestations de part social et les bulletin de collecte de tabac sans payer dans les valises », s’indigne un planteur rencontré à Batouri. Ces planteurs dénoncent aussi la tentative de destruction de la filière par le ministère de l’Agriculture et du développement rural. C’est d’ailleurs l’objet d’une réunion organisée à Batouri le 17 mai 2020 par les producteurs du tabac du département de la Kadey, la plus grande zone de production à l’Est. Au terme de leur réunion, ils ont adressé un mémorandum au préfet de la Kadey relatif à « l’assainissement de la filière tabac et amélioration des conditions des planteurs ». « Nous planteurs, venons par le présent mémorandum vous présenter nos multiples frustrations dont nous sommes victimes depuis toujours par les opérateurs de la filière. L’approvisionnement en intrant, le suivi des activités et l’achat des produits ont toujours été biaisés par les sociétés », écrivent les planteurs au préfet de la Kadey en insistant sur « les mauvaises conditions de travail des planteurs, la surestimation des coûts des outillages offerts, le bas prix du kg du produit acheté, l’abandon de certains produits et le paiement tardif et irrégulier des dettes de la part des sociétés ».
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Sur les dettes dues aux planteurs particulièrement, les délégués des GIC des producteurs et les chefs traditionnels des zones de production présents à la réunion de Batouri ont estimé à plus de 500 millions les dettes réclamées par environ 3000 producteurs auprès des sociétés commerciales notamment la Fédération des producteurs des tabacs et autres produits vivriers du Cameroun (FPTC) qui n’a pas payer les produits collectés entre 2012 et 2015 auprès des planteurs. Contacté à ce sujet pour réagir, Jean Marc Sambha’a, Administrateur provisoire de la FPTC estime pour sa part que « les planteurs ont exagéré, seule la récolte de 2015 estimée à 150.000.000 F n’a pas été entièrement payé. Le ministre de l’Agriculture et du développement rural avait promis lors du comice agropastoral de l’Est en décembre 2020 de donner une subvention de 50.000 000 F pour permettre à la Fédération de payer cette dette et 40.000.000 Frs pour les arriérées de salaire du personnel de la Fédération, soit une somme de 90.000.000 F» précise-t-il.
La délimitation des zones contestée
En dehors des arriérées réclamées aux sociétés commerciales, les planteurs des tabacs ne sont pas d’accord avec le zonage imposé par le MINADER. « En dépit de ce mauvais traitements que nous subissons, nous avons pris connaissance avec indignation du compte rendu de la rencontre de certains opérateurs de la filière tabac présidée par le ministre de l’Agriculture et du développement rural en date du 21 décembre 2020 à Bertoua. Nous, producteurs étant acteurs principal de la filière tabac avons été exclus de ladite rencontre. Cette exclusion est une destruction de la filière tabac au regard des mesures prises à ladite rencontre, principalement, la délimitation du périmètre d’action des compagnies autour des centres de traitement acquis, une délimitation d’un périmètre d’intervention de 50 kilomètres », écrivent les planteurs au préfet en rappelant à l’autorité administrative qu’ « au lieu de chercher à remédier aux problèmes des producteurs, les concernés cherchent plutôt à empirer notre situation en ignorant la loi N0 95/11 du 25 juillet 1995 ». Celle-ci dispose en son article 1 que : « la commercialisation des produits de base est ouverte aux entreprises régulièrement constituées et aux organisations crées par les producteurs et aux unités locales de transformation ». Dans l’alinéa 2 du même article, la loi interdit la concession en monopole des zones d’achat ainsi que l’attribution des quêtes réservées à des opérateurs de ces produits. L’article 8.2 de la même loi interdit également les ententes entres les acheteurs ou leur organisation en vue d’imposer un prix unique aux producteurs ».
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Malgré les dispositions de la loi évoquée plus haut, Romio Mpoack, délégué départemental du Minader de la Kadey a tenu une réunion avec les sociétés commerciales en écartant les planteurs le 25 mai 2021 à Batouri. Il était question d’insister sur le respect de la délimitation des zones instaurées par le Minader. Une décision portante contestée par certaines sociétés tabacoles. Notamment Cameroon Golding Wrapper et Tobecam qui dénoncent la violation de la loi sur la commercialisation des produits de base qui interdit la concession en monopole des zones d’achat ainsi que l’attribution des quêtes réservées à des opérateurs de ces produits. Pour certains observateurs, la réapparition du Minader pour délimiter les zones et donner une subvention de 90 millions de FCFA à la Fédération pour payer ses arriérées des produits collectés auprès des planteurs suscite la curiosité. « Je suis très surpris d’entendre que le Minader va octroyer une subvention pour les arriérées des planteurs et les salaires d’une société parce que le Minader n’intervient plus dans le secteur », regrette, Pierre Koéké, ingénieur des travaux agricoles et expert dans la production du tabac.
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La crise qui veut s’installer à nouveau dans la filière tabac est une grave menace sur le processus de relance initié depuis 2018.
« Il faut un prix standard d’achat du tabac »
Mboble Dob Président régional de la plateforme nationale des organisations professionnelles agro-sylvo-pastorale et halieutique du Cameroun (Planopac).
Les producteurs de tabac sont dépendants des sociétés tabacoles qui les appuient en semences, en intrants agricoles et dans l’encadrement. De ce fait, le producteur se trouve dans l’obligation de vendre sa production à la société qui l’a appuyé. Mais il faut que les sociétés paient cash pour éviter le problème d’arriérées. De l’autre côté on observe une concurrence déloyale du fait qu’un planteur, après avoir reçu l’appui d’une société, préfère vendre sa production à une autre société qui propose un prix plus intéressant. Pour résoudre ce problème, il faut stabiliser le prix d’achat du kilogramme du tabac selon la catégorie comme ça se passe dans la filière cacao. Et ce prix doit conjointement être fixé par les ministères du commerce et de l’Agriculture, en présence des représentants des producteurs, et des sociétés tabacoles. En plus, au lieu de subventionner une société commerciale pour apurer les arrières des produits collectés auprès des producteurs, il serait plus judicieux de subventionner directement le producteur pour le rendre plus autonome.
Valeur économique
Le tabac camerounais peut constituer un levier pour la croissance et de l’emploi. A titre indicatif, la production régionale pour la campagne 2019 est estimée à 725 tonnes. Lors de la campagne agricole 2018, et selon les statistiques du PNADTPS fermé aujourd’hui, « 625 tonnes du tabac de Cape et 328 tonnes du tabac de Coupe ont été produits par 7500 producteurs dans les départements du Lom-et-Djerem et la Kadey». En termes de valeur économique, le prix d’un kilogramme de tabac selon diverses sources, varie entre 1000 et 2000 Fcfa selon la qualité.
Ce qui revient à dire que pour la campagne agricole 2018, les 625 tonnes du Cape et 328 tonnes de Coupe ont généré un minimum de 953.000.000 Fcfa auprès des producteurs et lorsqu’on considère que ce prix est pratiquement triplé au niveau du marché mondial, cela revient à dire que la filière tabac peut générer plusieurs milliards de Fcfa par an au PIB.