En 2012, l’agriculture n’occupe plus la place qu’elle avait au sein de l’économie camerounaise au début des années 1980. Si elle utilisait encore la plus grande part de la population active, soit 70%, elle ne contribuait plus qu’à hauteur de 20% de la formation du produit intérieur brut (Pib). Intervenant dans un média français, le ministre de l’Agriculture et du développement rural (MINADER) de l’époque, Essimi Menye, avait annoncé un ensemble de projets visant à renforcer le secteur agricole. En fait, le gouvernement avait prévu des actions concertées afin de redorer le blason de ce domaine dans l’économie du Cameroun.
Parmi ces projets, l’on a le Programme économique d’aménagement du territoire pour la promotion des entreprises de moyenne et grande importance dans le secteur rural au Cameroun (Programme AGROPOLES). C’est justement en 2012 que l’Etat du Cameroun annonce sa mise sur pied. Il ambitionne de réduire les déficits de production dans le secteur de l’agriculture et, par conséquent, limiter les importations de certaines denrées alimentaires. Deux phases sont arrêtées. La première, qui sert de phase pilote sur une durée de deux ans, est lancée en janvier 2013 sous le pilotage du ministère de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire (MINEPAT). Et 15 mois plus tard, l’on annonce une quinzaine d’agropoles créés : trois dans la filière avicole, trois dans la filière porcine, un dans la filière halieutique et dix dans les filières végétales.
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La satisfaction gouvernementale est perceptible. Le 11 avril 2014 en effet, le ministre délégué à l’Economie, Yaouba Abdoulaye, au cours d’une cession du comité national d’orientation et de pilotage de ce programme, déclare : « le dispositif mis en place dans la filière porcine permet de résorber le déficit signalé il y a un an (soit 17 000 tonnes). Et depuis le lancement des activités de l’Agropole de production des œufs dans la localité de Baleng, le prix de l’alvéole est passé de 1 800 à 1 300 FCFA à Bafoussam ». Il souligne par ailleurs que le taux de transformation du cacao pourrait passer de 12% à près de 25%.
Cela semble encourager les autorités camerounaises dans le lancement de la phase opérationnelle, prévue s’achever en 2021, soit une durée de 6 ans. Depuis, chaque année, un budget est alloué pour créer ou accompagner des agropoles, avec le soutien des partenaires bilatéraux et multilatéraux. Les filières concernées ont augmenté, ainsi que le nombre d’agriculteurs touchés.
Actuellement, le programme coordonné par Adrian Ngo’o Bitomo a, comme actif, 45 agropoles créés à travers le pays. Les contributions financières de l’Etat s’élevaient, au début de cette année, à un peu plus de 8 milliards FCFA, les acteurs agropastoraux apportant 65% du financement global. Le plus gros de ces investissements vont aux productions animales que sont le poisson, le poulet, les œufs, la viande de porc et celle de bœuf. Quant aux productions végétales, elles vont de l’ananas au soja, en passant par l’avocat, le cacao, la banane-plantain, le manioc, le riz, le palmier à huile, ainsi que la pomme de terre. Le programme s’implique aussi, il faut le noter, dans l’aménagement du territoire, à travers la construction ou l’entretien des routes, les projets d’adduction d’eau potable les ou d’électrification, etc.
Cinq années après le démarrage officiel des activités de ce programme, le bilan semble satisfaire les autorités camerounaises, dans la mesure où elles ont permis de booster les productions nationales. D’autres observateurs estiment par contre qu’elles restent encore insuffisantes, le pays continuant d’importer des quantités énormes d’aliments pour nourrir ses populations. Qu’en est-il exactement ? C’est le questionnement auquel tente de répondre ce dossier.
Elevage : une production en augmentation, mais encore insuffisante
De l’avis de plusieurs responsables au ministère de l’Economie et au Programme Agropoles, les résultats acquis jusqu’ici sont appréciables dans différentes filières. S’agissant de la production des protéines animales, la viande porcine est en effet un motif de grande satisfaction. Plusieurs agropoles ont été créés, pour contribuer à l’augmentation de la production, même si cela ne représente qu’environ 6% en termes de réduction du déficit. L’agropole de production, de transformation et de commercialisation de la viande porcine de Batoufam permet aujourd’hui de mettre sur le marché près de 1 500 tonnes de viande de porc transformée, et une production de plus de 13 000 porcelets par an. A Kribi, l’agropole offre 11 000 porcs, soit 2 000 de plus que les objectifs visés au départ.
S’agissant de la viande bovine, le programme Agropole a aussi intervenu, mais beaucoup plus dans le cadre du plan d’urgence triennal déclenché il y a deux ans par le gouvernement pour les régions du Septentrion. Dans la région de l’Adamaoua, qui représente près de 40% de la production de viande bovine consommée dans le pays, une unité d’abattage moderne a été construite. Mais, c’est bien moins d’actions que ce qui est fait dans la filière poisson qui a enregistré pas moins de cinq agropoles. Le dernier en date ayant été lancé à Zoétélé (région du Sud) en janvier dernier. Il sera question de faire passer cette unité agropastorale de 44 tonnes de poissons produits par an, à un peu plus de 183 tonnes.
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L’aviculture en mal
Dans la zone de Mbalmayo, un homme d’Eglise a capitalisé le potentiel hydraulique pour passer de 33 tonnes à 169 tonnes de poisson annuellement. L’agropole, grâce à une trentaine de porteurs satellites, indique produire près d’un million d’alevins amélioré et 500 tonnes d’aliments. On a aussi l’agropole de production d’eau douce de Bazou (Ouest) dont le cahier de charges estime la production annuelle à 241 tonnes de poissons clarias, 1,3 million d’alevins et 1 500 tonnes d’aliments.
Quant au secteur avicole, il semble difficile aujourd’hui d’évaluer l’impact des agropoles, notamment après l’épizootie de grippe aviaire qui a frappé deux fois le pays en l’espace d’un an et demi. Le secteur avicole, qui employait plus de 320 000 personnes en 2016 n’en compte plus que près de la moitié. Le cheptel national des poules pondeuses et de poulets de chair est passé respectivement de 8 millions et 48 millions en 2016, à seulement 3 millions et 25 millions à fin 2017. Les statistiques avaient parlé de près de 250 millions FCFA de pertes sèches pour les agropoles de l’Ouest. Pour tenter de relever la filière, le gouvernement avait signé des avenants avec les aviculteurs. Et la remontée est attendue…
Agriculture : quelques avancées jusque dans la transformation locale
Dans la localité de Manjo (Littoral), un agropole de production du poivre labellisé Penja a été mis sur pied. Il produit près de 65 tonnes de poivre blanc par an, sur les 50 hectares qui ont été nécessaires à son décollage. Mais les ambitions sont plus grandes. Les responsables de cet agropole, qui compte 18 porteurs, entendent passer à une superficie de 160 hectares d’ici 2020, pour une production de 271 tonnes. Ils comptent également investir davantage d’argent dans le circuit économique du poivre de Penja. La deuxième phase du projet, prévue pour démarrer en 2021, devrait connaitre la mise en exploitation de 300 hectares pour produire 600 tonnes de poivre et garantir 1,5 milliard de salaire ainsi que la création de chaîne de valeur.
Le programme Agropoles a également permis de rehausser la production de certaines spéculations comme le manioc. A Atok, dans le département du haut-Nyong (région de l’Est), l’agropole a été mis en place pour passer de 178 à 6 300 tonnes de tubercules de manioc par an, et 3 500 tonnes de farine de manioc. Toujours dans la région de l’Est, à Batouri, la Coopérative des agriculteurs/producteurs de manioc de Batouri, a reçu l’appui du programme pour passer à des exploitations étendues sur un ensemble de 500 hectares. Les productions ne sont pas connues avec exactitude, mais l’on rassure que les objectifs ne sont pas loin d’être atteints.
Pendant ce temps, dans la zone de Dschang (Ouest), l’Université de Dschang a concédé 117 hectares à l’agropole du même nom. Cela a aussi permis au promoteur de changer de variétés, de sorte d’avoir une moyenne de 38% de matières sèches pour produire de la farine de pomme en abondance. L’un des impacts les plus visibles dans cette filière est la baisse de son prix sur le marché : il n’y a pas longtemps, apprend-on, le seau de pommes de terre était passé à 2 000 FCFA contre 4 000 FCFA quelques temps plus tôt.
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Transformation
Les spéculations végétales sont nombreuses dans le programme Agropoles, même si les productions annuelles ne sont pas toujours données par les responsables. Mais, ici également, il y a matière à se satisfaire. Notamment pour des spéculations qui ont avancé jusqu’à la transformation. Officiellement lancé à Kekem (région de l’Ouest) en juin 2016, un projet de construction d’une usine de transformation de fèves de cacao devrait être mis en service en novembre prochain. L’unité entend produire 288 tonnes de cacao, transformer 30 000 tonnes par an afin d’obtenir 12 000 tonnes de beurre, 6 000 tonnes de poudre et 6 000 tonnes de masse. Plusieurs missions – dont la dernière en août dernier – ont été effectuées pour s’assurer du bon avancement du projet.
Quant au soja, le promoteur de l’Agropole de production, de transformation et de commercialisation du soja de Mokolo (Extrême-Nord) a installé des unités de transformation à Yato, dans la banlieue de la ville de Douala. L’usine indique traiter 90 tonnes de soja par jour pour un fonctionnement à plein régime. En termes de production d’huile, elle est autour de 20 tonnes par jour. Quant aux tourteaux, ils fournissent 75 tonnes toutes les 24 heures.