Congelcam et Queen fish entretiennent le spectre de la pénurie
L’essentiel du marché du poisson au Cameroun est entre les mains de deux opérateurs économiques, Congelcam et Queen Fish, qui n’hésitent pas de temps en temps à jouer la carte de la rareté pour faire varier les prix
Il y a peut-être un léger mieux actuellement sur le marché camerounais du poisson. Le ministre camerounais du Commerce, Luc Magloire Atangana, a pu le constater lors de ses récents tours des marchés des villes de Douala et de Yaoundé. Bref, les principaux importateurs de ce produit de grande consommation ont assuré de sa disponibilité sur le marché dans les prochains mois, voire jusqu’à la période des fêtes de fin d’année, période de pic de consommation de ce produit. Mais, l’on peut aisément se poser la question de savoir quel crédit accorder à ces assurances car, ce marché de poisson vient de connaître une surchauffe il y a quelques mois. Ce, malgré les assurances de sa disponibilité données au ministre du Commerce lors d’une concertation avec les acteurs de cette filière au mois de janvier dernier. Les opérateurs de cette filière, dont Congelcam qui détient à lui seul 80% de ce marché, et Queen Fish par exemple avaient certifié que le maquereau très prisé des consommateurs camerounais retrouvera sa place de choix dans les congélateurs des poissonneries et autres lieux de vente. « Il se pose simplement un petit problème de maquereau qui sera bientôt réglé. Le véritable problème est la taille du maquereau », confiait alors le directeur général de Congelcam.
Avant d’ajouter que 1000 tonnes de maquereaux, moyenne et petite tailles avaient accosté la veille même de cette concertation et devaient être présents dans les surfaces le lendemain. Mais il précisait qu’il fallait attendre un mois pour l’arrivée d’un stock plus important de 4000 tonnes en provenance de la Namibie et d’Afrique du Sud. Ce stock devait comprendre des maquereaux en grosses pièces sollicités par les camerounais. La pénurie du maquereau remontait alors déjà à plusieurs semaines. Les opérateurs économiques de cette filière minimisaient néanmoins cette pénurie du poisson en indiquant que, « lorsqu’on parle du poisson au Cameroun, les gens voient seulement le maquereau pourtant le marché est suffisamment fourni en poissons de toutes variétés et de toutes tailles. Actuellement (mois de janvier 2018), nous avons une quantité de 30 000 tonnes de poisson disponibles sur le marché toutes espèces confondues, qui peut couvrir trois mois », rappelait un importateur. Mais cela n’a pas empêché que quelques mois après que le poisson se raréfie sur le marché. Toute chose qui fait dire à certains observateurs que ces pénuries artificielles sont volontaires, le but étant de créer le manque pour faire augmenter les prix.
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En effet, l’approvisionnement du marché camerounais du poisson dépend encore en grande partie des importations. En 2017 par exemple, le Cameroun a importé 181 678 tonnes de poissons à 114,3 milliards FCFA, principalement sur le marché africain, selon l’Institut national de la statistique (INS). Ces importations étaient toutefois en baisse de 23,4% en quantité et 31,8% en valeur par rapport à l’exercice 2016. Elles se situaient à 205 295 tonnes pour une valeur de 144,2 milliards FCFA en 2013 ; soit des évolutions à un rythme moyen annuel de –5,6% en volume et -2,9% en valeur sur la période 2013-2017. L’INS faisait aussi remarquer que les opérateurs impliqués dans l’importation de ces poissons surgelés au Cameroun s’approvisionnent principalement à hauteur de 50,6% sur le marché africain (Mauritanie, Sénégal), 12,9% en Europe (Irlande) et 19,6% en Asie (Chine).
L’apport des aquaculteurs locaux insuffisant
C’est l’un des secteurs qui contribue à rendre la balance commerciale du Cameroun déficitaire vis-à-vis de ses partenaires extérieurs. Et la sortie des capitaux n’est prête de s’estomper. Le Cameroun continuera encore à dépenser environ 100 milliards de FCFA par an, sinon plus pour importer du poisson et satisfaire la demande locale en ce produit de grande consommation. Cette dépendance vis-à-vis de l’extérieur est la conséquence de l’insuffisance de la production locale en poisson. Celle-ci en 2016 était par exemple estimée à 218 191 tonnes, enregistrant ainsi une hausse de 3% par rapport à 2015. Pour développer ce secteur, précise-t-on, les pouvoirs publics ont pris un certain nombre de mesures suivantes, notamment la construction des halles de vente, des fumoirs et des quais. Egalement pour promouvoir l’aquaculture, l’Etat mise sur l’amélioration de la production des écloseries et des fermes aquacoles par la maîtrise de l’élevage larvaire et de la gestion technico-économique, et la vulgarisation des techniques d’élevage de poissons en cage, avec l’appui de la FAO. Avec le concours de ce partenaire, le gouvernement camerounais a lancé le projet intitulé, «Appui au développement de l’élevage du tilapia en cage au Cameroun».
Ce projet, informe-t-on, doté d’une enveloppe de près de 300 millions de FCFA consiste en la production locale des alevins, afin d’approvisionner les aquaculteurs du pays. Ces alevins devront certainement permettre une productivité maximale dans les centres de production intensive, dont le gouvernement a lancé la construction dans plusieurs régions du pays en 2014. La première unité de ce type a été inaugurée dans la localité de Meyomessala, dans la région du Sud. En plus de l’encadrement et des différents appuis apportés aux jeunes aquaculteurs, ces structures abritent des étangs modernes pour la production du poisson. S’agissant de la promotion de l’aquaculture, les actions menées portent sur l’amélioration de la production des écloseries et des fermes aquacoles par la maîtrise de l’élevage larvaire et de la gestion technico-économique, et la vulgarisation des techniques d’élevage de poissons en cage, avec l’appui de la FAO. En plus de ces centres spécialisés, le gouvernement camerounais, rappelle-t-on, multiplie des agropoles de production de poissons depuis au moins deux ans. Les deux derniers en date sont ceux inaugurés dans les localités de Ngoulémakong, dans la région du Sud et de Limbe, dans celle du Sud-Ouest, où il est attendu une production de plus de 1000 tonnes de poissons par an sur le court terme.
L’objectif visé par cette multitude de projets dans le domaine de l’aquaculture, apprend-on du ministère de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales, est de porter la production aquacole du pays à 100 000 tonnes de poissons par an, contre un peu plus de 1000 tonnes actuellement, sur une production nationale officiellement estimée à environ 176 000 tonnes. Pour rappel, le déficit actuel de production du poisson au Cameroun est estimé à environ 250 000 tonnes. Pour combler ce déficit, le pays exporte environ 100 milliards de FCFA de poissons par an, pendant que des chalutiers étrangers sont constamment arraisonnés sur les côtes du pays pour pêche illicite.
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Les exonérations fiscales n’ont pas produit l’effet escompté
C’est un peu la conséquence de la situation de quasi-monopole qui prévaut sur le marché camerounais du poisson. Les mesures de défiscalisation, sensées tiré vers le bas le prix de cette denrée de grande consommation, n’ont visiblement pas atteint le but escompté. Les importateurs, parmi lesquels Congelcam détenant 80% de ce marché, semblent ruser avec les pouvoirs publics, et les prix ne font que renchérir. La preuve, dans les marchés de Douala, le carton de poisson de 20 kg est par exemple passé, il y a peu de temps de 25 000 FCFA à 28 000 FCFA ou 29 000 FCFA. Une hausse qui se répercute directement sur les vendeurs de poisson en détail, obligés d’ajouter entre 100 FCFA et 150 FCFA sur le tas pour s’en sortir. Pour les importateurs, cette hausse du prix du poisson pourrait se justifier par les difficultés d’approvisionnement, d’autant plus que, disent-ils, ne parviennent pas à pouvoir payer leurs fournisseurs, du fait des retards dans le transfert des fonds et du renchérissement des coûts de transfert.
Selon des informations concordantes, les frais d’envoi de fonds à l’étranger ont été revus à la hausse, compliquant ainsi la donne, puisque «c’est l’un des moyens que nous utilisons le plus pour payer nos fournisseurs», explique un importateur. Selon toute vraisemblance, le « jeu de cache-cache » que se livreraient importateurs et grossistes serait la principale cause de cette hausse, qui toujours « curieusement, intervient après les fêtes de fin d’année qui constituent généralement une période de grande consommation », indique-t-on. Certains consommateurs redoutent plutôt une « inflation organisée » par des commerçants pour « se remplir des poches ». Avec les dispositions de la loi de finances de 2017, les choses se sont encore de plus en plus compliquées. En effet, l’Etat a mis en place une série de taxes qui, d’après les importateurs, pèsent sur leurs portes monnaies. Ces taxes estimées à 12%, devaient être répercutées sur les prix dans les poissonneries.
Et Congelcam, et Queen Fish, deux des plus gros importateurs de poissons au Cameroun, n’ont pas tardé à s’en plaindre, faisant un bilan catastrophique de leur activité au cours des premiers mois de cette année budgétaire. «Lors de nos opérations d’importations, nous sommes soumis au paiement de diverses taxes », s’était indignée Célestine Ketcha Courtes, au cours d’une rencontre avec le ministre du Commerce. Il s’agit de la Tva, la taxe communautaire d’intégration (0,6%), l’Isp (3%), et d’autres taxes comme la redevance informatique, la taxe Ohada, la taxe d’inspection sanitaire…tout ceci, en plus du paiement de la taxe de 5% sur l’importation des poissons. Des taxes qui, cumulées, font qu’« on se retrouve à près du double de ce que le Président avait prescrit, soit plus de 12% ». Indiquait-elle.