Financement : les PME toujours marginalisées dans l’octroi des crédits
En janvier 2018, le ministère des Finances a annoncé l’ouverture d’une ligne de crédit de 76 milliards de FCFA dans les livres de la Banque camerounaise des PME mais la multiplication des structures d’encadrement des PME locales n’arrive pas encore à trouver une solution durable à l’épineux problème de financement des PME camerounaises.
Création d’une banque des PME, promotion du crédit-bail et de l’affacturage, des organismes de placement collectif en valeur mobilière, Agence de promotion des PME, les Centres de formalités de création d’entreprise, Centres de gestion agréés, baisse de 1 000 000 à 100 000 FCFA le montant minimum du capital social des Sociétés à responsabilité limitée (Sarl) ; autant d’initiatives qui montrent la place centrale qu’occupe la question du financement des PME dans l’agenda du Gouvernement.
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En effet, les PME constituent un maillon essentiel du tissu économique national. Selon les résultats préliminaires du deuxième recensement général des entreprises réalisé par l’Institut national de la statistique en 2016, La géographie de l’écosystème économique national est composée de très petites entreprises (TPE, 75%) ; de petites entreprises (PE, 19%) ; de moyennes entreprises (ME, 5,2%) et de grandes entreprises (GE, 0,8%).D’après les analystes, le secteur des PME (99% des entreprises, 35% du PIB) représente contribue énormément à la croissance économique du Cameroun et assure 70% de la création des emplois. L’essor économique du pays est donc lié à la santé des PME, dominé par les microentreprises (79,1%) et essentiellement constitué d’entreprises individuelles (97% en 2016 contre 89% en 2009). Mais encore faudrait-il que le secteur vienne à bout de sa bête noire : le financement.
En effet pour leur développement, les PME ont besoin de financement pour leurs investissements (machines, sites de productions, etc.) ; de fonds de roulement (stocks, facteurs de production, charges courantes d’exploitation, etc.) ou d’une combinaison en investissement et en fonds de roulement. Or, l’analyse de la répartition des crédits par le secteur bancaire montre une prédominance des crédits aux entreprises privées (majorité en volume pour GE), ne laissant qu’une portion congrue aux entreprises individuelles assimilables aux PME (TPE, PE, ME).
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En cause, une organisation du secteur caractérisée par des structures fortement personnalisées, l’insuffisance d’une culture du respect des engagements, le lancement des activités par simple imitation, la mauvaise tenue de comptabilité, les lacunes dans la gestion financières, une connaissance insuffisante du marché, un environnement règlementaire inapproprié (très peu contraignant envers les débiteurs), un accompagnement de l’Etat à développer, une faible structuration des filières de l’économie, l’absence ou l’insuffisance de sûretés, une fiscalité pas très adaptée. Actuellement au Cameroun, il n’existe pas un dispositif public ou privé de financement de la création des entreprises impliquant la mise en place des crédits de longues durées en faveur des PME. Dès lors, beaucoup de PME ayant un réel besoin de financement pour le démarrage de leurs activités, n’en trouvent pas. Leur bilan d’ouverture est alors fortement déséquilibré à cause de la faiblesse des capitaux propres. Ce déficit initial des capitaux permanents, s’il n’entraine pas rapidement la faillite de la PME, aura des conséquences négatives le long de la vie de l’entreprise. Ainsi par la suite, les tensions financières seront aggravées au niveau du cycle d’exploitation avec notamment des délais de recouvrement très longs imposés par les créanciers et complétement en inadéquation avec la structure financière d’une petite entreprise.
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Comment l’Etat pousse les PME à la faillite
Dans le Document de Stratégie de Croissance et d’Emploi du Cameroun, l’un des objectifs de croissance et d’emploi est de ramener le sous-emploi actuel, de 75,8% à moins de 50% en 2020 à travers la création de dizaines de milliers d’emplois formels par an pendant les dix prochaines années en s’appuyant sur un tissu de plus en plus dense des PME/PMI. Le Gouvernement a donc mis les PME/PMI au cœur de la stratégie de relance de la croissance et de l’emploi
. Malgré la loi du 13 avril 2010 portant promotion des PME au Cameroun, force est de constater que peu ou presque rien n’est fait pour s’attaquer de façon significative et de façon conséquente au problème majeur que rencontrent les PME, à savoir le financement de leurs investissements et/ou de leurs exploitations courantes.
Discours de fin d’année du président de la République, Cameroon business forum (CBF), Foire internationale des Affaires du Cameroun (FIAC), la question du financement des PME semble incontournable, avec une constance : la responsabilité de l’Etat, mauvais payeur. Pour l’économiste Dieudonné Essomba, « Une des grosses contraintes que vivent les PME locales dans un contexte ou L’Etat est le principal client est celui du conflit entre les délais de paiements et les engagements sociaux. Beaucoup de jeunes entreprises meurent avant la fin de leur troisième année, parce qu’il y a une pratique qui s’est installée au Cameroun, le non-paiement des factures. L’Etat est au-devant de cette pratique. Imaginez seulement que le stock de la dette intérieure, détenue essentiellement par les PME est de plusieurs centaines de milliards de Fcfa dont certaines durent depuis des années. »
En effet, la Caisse autonome d’amortissement(CAA), organisme en charge de la gestion de la dette publique du Cameroun, estime l’encours de la dette intérieure à plus de 1000 milliards de FCFA au 31 décembre 2017. La dette due aux entreprises locales qui comprend la dette non structurée et la dette structurée non bancaire se situerait à un peu plus de 270 milliards de FCFA. Si on y ajoute, les «restes à payer» qui se situent à plus de 500 milliards de FCFA, estime Protais Ayangma, vice-président de la Plateforme des organisations du secteur privé, l’Etat devrait aux entreprises non bancaires un peu plus de 750 milliards de FCFA. « Pour mieux se rendre compte de l’ampleur de ce montant, on pourrait le mettre en parallèle avec le chiffre d’affaire annuel moyen des entreprises au Cameroun qui a été estimé par l’Institut national à l’issue du 2ème recensement général des entreprises à environ 64 millions de FCFA », a-t-il confié Protais Ayangma, le 12 mars 2018 à Douala lors de la 9ème session du CBF, sur le thème « Financement des petites et moyennes entreprises et développement du tissu industriel camerounais».
C’est donc avec raison que la loi des Finances 2018 prévoit de consacrer 1027 milliards de FCFA pour le remboursement de la dette publique soit 22,76% du budget. Dans cette enveloppe, la dette publique extérieure représente 357 milliards de FCFA contre 670 milliards pour la dette publique intérieure. Si ces projections sont réalisées, ce sera donc une bouffée d’oxygène pour les entreprises locales. Ce d’autant plus que dans son Message de fin d’année 2017 à la Nation, le chef de l’Etat a annoncé qu’«une attention particulière sera accordée à la situation des PME, notamment pour ce qui est du règlement prioritaire de la dette qui leur est due, comme de l’amélioration de leur accès au crédit bancaire.»
Déjà en 2017, pour soutenir les activités des entreprises pénalisées par les difficultés de trésorerie de l’Etat, principal pourvoyeur des contrats dans le pays, le président de la République a dû instruire le paiement exceptionnel de 180 milliards de FCFA au profit des entreprises. Ce qui a été fait à partir du 21 août 2017. Il s’agissait notamment du paiement des factures des prestataires de l’Etat et du remboursement des crédits TVA, pour une enveloppe totale de 100 milliards de FCFA. Selon le ministère des Finances, 80 milliards de FCFA ont été mis à la disposition des banques pour la relance des crédits aux entreprises. Cette mesure présidentielle venait en complément au Compte séquestre dédié au remboursement des crédits de TVA, opérationnel depuis mai 2017 ; une dotation six milliards de FCFA y est automatiquement versée tous les 15 de chaque mois à cette fin.