Le secteur hôtelier à l’agonie dans la région de l’Est
Dans la région du soleil levant, cette branche d’activité est victime de la pandémie du Covid-19 qui a provoqué une chute du taux d’occupation des chambres de 85% à 35% suivie par le licenciement d’une bonne frange d’employés. Conséquence directe, l’administration fiscale a enregistré une chute drastique des recettes fiscales sur ce segment avec une baisse de plus de 148 millions de FCFA par rapport aux objectifs initiaux. D’un autre côté, le secteur est grippé par l’illégalité avec moins de 20 hôtels classés sur environ 700 structures d’accueils recensés dans les quatre départements.
L’hôtellerie est parmi les secteurs les plus affectés dans la région de l’Est par la pandémie du coronavirus. « La chute des affaires au niveau des entreprises hôtelières, les restaurants et les activités qui se greffent autour du tourisme, le ralentissement des mouvements au niveau des transports, la suppression des contrôles entre autres ont ralenti les recouvrement des impôts pendant le premier semestre de l’année 2020 », indique Oumarou Wadjonré, chef du Centre régional des impôts de l’Est. Selon l’Administration fiscale, une chute drastique des recettes fiscales a été observée à cause des mesures barrières dictées par l’OMS et le gouvernement. Ainsi, à la fin du premier semestre 2020, les recettes fiscales dans la région de l’Est avaient chuté de plus de 148 millions de Frs par rapport aux objectifs fixés. Un score qui rend nulle, la performance du premier trimestre (de janvier à mars).
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Pour ce qui est du secteur hôtelier, les choses ont été plus sévères puisqu’aucun hôtel n’a été réquisitionné permanemment par l’Etat pour loger les cas suspects de la maladie. « Lorsque les premiers cas du coronavirus ont été signalés dans la région de l’Est au mois d’avril 2020, le gouverneur a réquisitionné l’hôtel Fanga, situé à l’entrée de la ville de Bertoua pour un temps. C’est ici qu’une cinquantaine de passagers d’un cas de transport en provenance de Yaoundé qui portait un cas suspect a été logé. Après la période d’observation et de dépistage, ces passagers ont libéré l’hôtel et après un temps, la note y afférente a été soldée », affirme un responsable administratif et financier de la délégation régionale de la Santé publique de l’Est. Un état des lieux confirmé par Dr Mbita Gislain Lionnel, chef section des opérations au système de gestion de l’incident Covi-19 à l’Est.
Perte de clients et licenciement
Pourtant, la Covid-19 a eu un impact très négatif sur le secteur du tourisme en général et l’hôtellerie en particulier. Selon les chiffres de la délégation du Tourisme et des loisirs « plus de 80% de ceux qu’on peut qualifier de touristes d’après les fichiers des hôtels, ne sont que les voyageurs généralement en transit pour le Tchad, la RCA et le Congo ». Malheureusement, après le déclenchement de la crise sanitaire, ces clients ne venaient presque plus. « C’était vraiment le chaos pendant les mois d’avril, mai juin et juillet. Selon les statistiques qu’on collectait, la majorité des hôtels n’avait même pas 05 clients par mois. Certains opérateurs voulaient même fermer, mais on les a conseillés de ne pas prendre cette option. Actuellement, les choses n’ont pas encore bougé alors que nous sommes en plein saison touristique avec la saison sèche », reconnais Nasser Hamadama, délégué régional du Tourisme et des loisirs.
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Sur le terrain, les promoteurs d’hôtel expriment le même sentiment. « La majorité de nos clients travaillent dans les Organisations humanitaires et environnementales. Nous avons perdu la plupart d’entre eux parce qu’ils sont bloqués dans les pays en confinement. Avant la Covid, nous étions à environ 98% de taux d’occupation des chambres. Pendant la période forte de la crise, on n’atteignait même plus 35% de ce taux. Au niveau de notre établissement, nous étions obligés de mettre 5 employés sur les 17 en poste en congé technique à cause de cette chute de recettes. Pourtant, on a les charges fixes comme les impôts, l’eau, les frais de gardiennage et l’électricité à payer chaque mois quelque soit le niveau de recette », regret Wilfred Lankar, manager de Sun City Hôtel, l’un des plus grands établissements hôteliers de Bertoua. Même l’hôtel Mansa, l’unique établissement hôtelier d’Etat à l’Est, la chute d’activités est perceptible. « Nous vivons grâce aux activités de l’Etat. Depuis la crise, il n’y a plus des missions et même quand les ministres viennent, la majorité ne dorment plus », fulmine un cadre de cet hôtel. Une tendance confirmée par Magloire Tamto, président du syndicat patronal des industries de tourisme, hôtellerie et loisirs de l’Est (SPITHL). « La Covid a impacté négativement le secteur hôtelier parce que les frontières étaient fermées et les gens ne venaient plus en mission. Au niveau de mon propre établissement (TALMA hôtel, NDLR), nous avons enregistré une baisse d’environ 90% de taux d’occupation des chambres. Nous étions obligés de mettre 04 employés en congé technique ». Dans les villes frontalières comme Garoua-Boulaï, Kentzou, Yokadouma et Gari-Gombo, en plus de du Covid-19, la crise centrafricain depuis le mois de décembre 2020 est venue achever la chute de ce secteur d’activité. Malgré cette baisse d’activités, la délégation régionale du Tourisme et le syndicat patronal des industries de tourisme, hôtellerie et loisirs de l’Est multiplient des descentes inopinées dans les établissements hôteliers pour veiller sur le respect des mesures barrières.
Innovations
La loi de finance de l’exercice 2021 a prévu des mesures d’atténuation des effets de la crise sanitaire sur plusieurs secteurs parmi lesquels le secteur d’hôtellerie. « Les innovations en matière fiscale cette année sont en faveur des contribuables des secteurs qui ont fortement été touchés par la Covid-19. Il y a le cas de la taxe d’abattage qui a connue une baisse de 4% à 3%. Il y a les hôteliers qui, dans la loi des finances de 2021 n’auront pas à payer les acomptes des impôts durant toute l’année. Pas de taxe de séjour, pas d’acomptes pour les impôts. Ces contribuables viendront simplement déclarer leurs chiffres d’affaires, sans moyens de paiement. Il y a également les transporteurs qui durant l’exercice 2021 ne payeront pas de taxe à l’essieu », précise le chef du Centre régional en indiquant que « nous devons encore axer notre travail sur l’élargissement de l’assiette fiscale ». Au-delà de ces innovations, la Direction générale des Impôts est entrée en plein dans la digitalisation à travers les déclarations en ligne.
Illégalité
Sur un autre plan, le secteur d’hôtellerie est malade dans la région de l’Est. Selon un expert qui a fait des recherches sur la situation des hôtels dans cette région, « il y a environ 700 structures d’accueil dans les quatre départements, mais moins de 20 sont classées avec un seul hôtel de 4 étoile». De son côté, le directeur de l’un des rares hôtels classés à Bertoua soutient que, « le secteur touristique est la première industrie mondiale en terme de chiffre d’affaire et d’emploi. Malheureusement, dans la région de l’Est, il n’y a que les amateurs ». Il ajoute que « le secteur d’hôtellerie n’a jamais évolué ici. La majorité des structures fonctionnent dans la clandestinité totale conformément aux dispositions de la loi n° 98/006 du 14 avril 1998». Il s’agit ici des auberges qui poussent dans les villes comme des champignons sans respecter les règles d’hygiène, de salubrité et de sécurité. Comme pour renforcer le cloue dans cet affaissement du secteur hôtelier, un ancien délégué départemental de la Communication du département du Lom-et-Djerem évoque un rapport qui affirme « qu’en 2003 lors de la célébration de la 24eme journée mondiale de tourisme, tous les établissements hôteliers étaient exclus de la compétition du concours du meilleur hôtel parce qu’il fallait aussi prouver qu’on a une autorisation de construire et d’ouvrir l’établissement. Il fallait aussi montrer la police d’assurance pour couvrir les clients, le dossier médical du personnel, la trousse médicale de premier secours, que l’on paie ses impôts et que le Directeur et le personnel étaient qualifiés » Conditions non remplies par les établissements hôteliers de l’Est de cette époque.
« Il y a manque du professionnalisme »
Jean Marie Njantsa, expert en hôtellerie
C’est regrettable, les gens sont fermés dans la région de l’Est. Ils ne s’intéressent pas à la filière hôtellerie mais certains veulent ouvrir les hôtels et d’autres veulent y travailler pour avoir de l’argent sans niveau. C’est conscient de cela que nous avons encouragé l’ouverture de la filière hôtellerie dans un établissement d’enseignement professionnel dans la ville de Bertoua depuis 2 ans. Malheureusement cette filière est au stade embryonnaire. Il n’y a pas les élèves. Pourtant, la professionnalisation des opérateurs et les ouvriers pouvait améliorer les rendements dans les établissements hôteliers et lutter contre l’illégalité. Il y a une différence entre un employé qui a juste le baccalauréat et celui qui a suivi une formation professionnelle après ce diplôme. C’est ce que nous avons voulu faire à travers la filière hôtellerie, mais il n’y pas eu adhésion à notre initiative. Conséquence, on continue à se retrouver avec les amateurs dans les établissements hôteliers da la place sans aucune déontologie professionnelle.
Martin Foula