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Dans les coulisses de la grève sur le chantier du barrage de Nachtigal

Les ouvriers du chantier de construction du plus grand barrage du Cameroun à Natchigal ont lancé un mot d’ordre de grève illimité depuis le mardi 2 février. Si le mouvement s’est déclenché à la suite d’une défaillance du système de pointage électronique, la revendication a depuis dépassé ce cadre pour se déporter sur le traitement général des employés. Retour sur une semaine de tension qui a affecté l’évolution de cet ouvrage clé du dispositif énergétique du Cameroun.

Les multiples rounds de négociation qui se sont succédés tout au long de la semaine sur le site de construction du barrage de Nachtigal n’ont pas réussi à calmer la colère des quelques 7000 ouvriers employés de ce chantier. Au cœur de la discorde qui a entrainé un arrêt des travaux, le traitement qu’inflige le consortium Société camerounaise de construction du barrage de Nachtigal (CCN) emmené par son directeur de projet, le français Christophe Denat, aux ouvriers du site. Il s’agit de l’entreprise de sous-traitance en charge des opérations de génie civil du barrage, et qui opère sous la coupole de la Natchigal hydro power company (NHPC).

La crise tire son origine de l’installation fin novembre d’un nouveau dispositif de contrôle des présences sur le chantier. Après avoir constaté que certains employés couvraient leurs absences en faisant inscrire leurs noms dans le registre de présence par leurs collègues, la CCN a entrepris de faire installer un système de pointage électronique afin de renforcer le contrôle.

Pointages défaillants

Mais dès la première expérimentation de ce dispositif fin décembre, quelques ouvriers ont signalé des irrégularités sur leurs rémunérations, vite couvertes par les départs en congés. « Les salaires que nous avons perçu en décembre ne correspondait pas aux nombres de jours que nous avons travaillé. Mais vu que nous avions passé près de 10 jours de congés, on s’est dit que c’était ça la raison », confie l’un d’entre eux.

La situation s’est empirée lors des pointages de la fin du mois de janvier, ce qui a donné lieu à des remous. « J’ai travaillé quatorze jours, mais je n’ai été payé que pour 8. Il y’en a qui ont perçu 5000 frs de salaire pour un mois de travail, s’indigne un manutentionnaire contacté par Ecomatin. Nous leur avons demandé de croiser les pointages manuels et électroniques, ils ont refusé ». « On nous demande de pointer 4 fois par jours, ajoute un chauffeur. Or pour nous autres chauffeurs, il nous arrive d’entrer sur le site le matin et de ne revenir que le soir. Lorsque ça se produit, ils ne considèrent qu’une demi journée de travail pourtant nous avons travaillé toute la journée ».

Face aux premières réclamations survenues le lundi 1er février, le chef de projet a consenti à procéder à un réexamen des pointages et des salaires y afférant « au cas par cas ». Le discours peu conciliant du français Christophe Denat a cependant irrité le collectif des employés qui dès le mardi 2 février, a lancé un mouvement de grève actif. Après avoir refusé de regagner le site, les ouvriers ont formulé une nouvelle requête à savoir : « une augmentation de 65% des salaires de base ».

Revalorisation salariale

Les employés du chantier de construction de Nachtigal dénoncent en effet une grille salariale « extrêmement basse » par rapport à celle pratiquée dans d’autres chantiers. « Les salaires commencent à 50.000 pour les manœuvres. Il existe des primes qui peuvent élever ce salaire à 110.000 frs, mais personne ne peut avoir l’ensemble de ces primes. Les salaires les plus bas tournent finalement autour de 80.000 frs », nous indique une source aux ressources humaines du projet. « Nous avons travaillé sur le chantier de construction pont du Wouri. Je touchais 800.000 à 1 million de frs. Aujourd’hui je suis à 250.000 frs. Ça ne motive pas », affirme un grutier. « Je suis en catégorie 8, mon salaire de base c’est 130.000 frs », vitupère un autre employé.

Dans le flot des revendications, les ouvriers du site de construction de Natchigal estiment que l’entreprise principale et ses sous-traitants ne respectent pas les contrats, soulignant la mauvaise qualité de la restauration, les pressions au travail, le mauvais management des équipes et les disparités salariales entre autres. « Le règlement intérieur du chantier stipule que trois jours d’absence donnent droit à une demande d’explication. Comment ils peuvent considérer autant d’absences alors qu’ils n’ont jamais servi de demande d’explication à qui que ce soit», déclare une source.

En face, la NHPC qui exerce une tutelle sur CCN oppose des conditions de travail « inédites ». « Ce qui ont été sur des chantiers gérés par des chinois savent que les conditions sont extraordinaires. Les chambres sont climatisées, il y’a un pressing pour tous le monde, une piscine, une salle de sport…il ne faut qu’ils donnent l’impression qu’on ne fait rien pour eux, confie à cet effet un responsable de la NHPC. Un tâcheron touche 700 frs l’heure. S’Il travaille 10 heures par jours ça fait 7000. C’est acceptable lorsqu’on sait que dans nos chantiers, on paye usuellement 3000 frs par jour, ajoute-t-il. Après recoupement, les ouvriers indiquent cependant que les logements sont réservés aux cadres composés en grande partie du personnel expatrié.

Négociations

Informé de la situation, Nasseri Paul Bea, le gouverneur de la région du Centre, a dépêché une délégation composée des responsables des Sous-préfectures de Baschenga, et de Mbandjock, de la délégation départementale du travail ainsi que des commissaires spéciaux des deux localités. Le mercredi 3 février, le défilé des autorités administratives a donné lieu à des prémices de négociations. Signe de leur détermination, les employés ont refusé que les négociations se déroulent avec la dizaine de délégués du personnel reconnus par l’administration de CCN. Une réunion s’est tout de même tenue, et les conclusions ont été communiquées à l’ensemble du personnel.

Selon une note publiée par le directeur du projet, Christophe Denat, un accord « qui répond sur le fond aux attentes de la majorité des salariés » a été trouvé entre les différentes parties. « La refonte salariale, plus cohérente et plus juste, sera effective dès la paie de février 2021, conformément au procès-verbal de la réunion du 25 janvier 2021. La direction s’engage à ce que l’application de cette mesure ne puisse entraîner aucune baisse de salaire », affirme Christophe Denat. « D’autres part, afin d’éviter les erreurs de pointage, il a été décidé qu’à compter de la paie de février, le salaire sera calculé sur la base des pointages manuels, éventuellement corrigé par les pointages électronique ».

Selon le directeur du projet, une campagne d’évaluation serait en cours, et devrait déboucher sur une reclassification de catégorie ou d’échelon sur la base des critères d’évaluation des compétences. Cette reclassification sera également effective sur la paie du mois de février 2021 ; et une prime de rendement sera effective à partir de la paie du mois de mars 2021.

Pas suffisant pour les ouvriers du chantier qui ont maintenu leur mot d’ordre de grève. Selon nos informations, le site de construction du barrage de Nachtigal est resté désert les Jeudi 4 et vendredi 5. Les ouvriers clament qu’ils ne reprendront le travail qu’après la satisfaction de l’exigence d’une augmentation de 65% de leur salaire de base, ainsi qu’un départ du chef de projet actuel.

La construction du barrage de Natchigal pourrait connaitre de lourds retards si les mouvements d’humeur se multiplient. Car si les autres entreprises telles que General Electric en charge de l’électromécanique, LGC en charge de la cité d’exploitation et Bouygues Energie en charge des lignes de transport ne sont pas concernés par cette grève, force est de constater que le génie civil en est le lot le plus important, et celui qui emploie le plus de gens. La construction du barrage connait en effet son deuxième mot d’ordre de grève après un premier organisé en 2020. En octobre dernier, le taux d’avancement des travaux se situait à environ 30%. Du fait du Covid-19, les travaux avaient été suspendus. Et Nachtigal Hydro Power Company (NHPC), le concessionnaire de cette infrastructure, avait même notifié un cas de force majeure à Eneo, l’unique distributeur d’électricité du pays avec qui NHPC a un contrat de fourniture de l’électricité.

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