Echanges commerciaux : le Cameroun veut conquérir le Nigéria
Dans sa Stratégie nationale de développement 2030, le gouvernement va à la conquête des marchés à fort potentiel de développement. Le Nigeria est identifié comme la première cible en vue regagner des parts de marché en Afrique.
Pour concrétiser son ambition d’émergence à l’horizon 2035, le Cameroun doit impérativement gagner des parts de marchés dans le commerce international. Ce qui passe par la diversification de ses échanges commerciaux avec l’extérieur. Pour l’heure, les exportations camerounaises demeurent très peu diversifiées et sont constituées principalement de produits primaires. Les huit principaux produits contribuant à 86,6% aux recettes d’exportations en 2019. Il s’agit du pétrole brut (41,8%), du cacao brut en fèves (12,1%), du gaz naturel liquéfié (11%), des bois sciés (7,0%), du coton brut (5,4%), des bois bruts en grume (3,6%), des produits transformés du cacao (3,3%) et de l’aluminium brut (2,4%).Dans sa Stratégie nationale de développement 2030 (SND30) d’aller à la conquête des marchés à fort potentiel de développement. Le Nigeria est identifié comme la première cible dans cette conquête. Au-delà d’être frontalier sur plus de 1000 km (avec 136 millions d’habitants), ce pays « dispose d’un certain nombre d’atouts en matière de PME dans le domaine de la production industrielle », selon les analystes du ministère de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire (Minepat).
Par exemple, illustre l’économiste et chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), Dr. Oumarou Balarabé, « l’activité économique véritable qui permet aux populations du Grand Nord de survivre se fait essentiellement à partir de nos échanges avec le Nigeria voisin. Nord Cameroun dépend plus des instruments de politique agricole du Nigeria que des décisions du Ministère de l’agriculture à Yaoundé ».
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Allié de raison
Malheureusement, si les produits camerounais ont été exportés vers environ 120 pays en 2019, le poids des échanges avec les pays voisins est resté assez faible dans les statistiques douanières. Seulement 7,8% des recettes d’exportations du Cameroun viennent des pays voisins dont 1,1% avec le Nigeria, selon les statistiques douanières. Des sources proches du dossier indiquent que les pouvoirs publics peaufinent déjà une stratégie « efficace » de développement des échanges avec le Nigéria. A l’avenir donc, les échanges avec le Nigeria devront « couvrir toute la gamme des produits, partant des produits primaires (pétrole), des produits alimentaires et industriels, aux services (fourniture d’énergie) », lit-on dans la SND30.
Pour ce faire, le Cameroun envisage de porter son indice de production industrielle de 180 cette année à 200 en 2025, puis 210 en 2030 et enfin 250 en 2035. De même, le ratio valeur ajoutée manufacturière en pourcentage du PIB devrait évoluer de 17,7% en 2020 à 19,4% en 2025 puis 22,9% en 2030 pour atteindre 24,6% en 2035. La capacité de production énergétique installée va progresser de 1650 MW en 2020 à 3500 MW en 2025 puis 5000 MW en 2030 et enfin 10 000 MW en 2035. Cette option intègre aussi la facilitation des échanges à la frontière à travers les procédures d’importation et d’exportation, les formalités de transport et d’assurance, ainsi que d’autres exigences financières.
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Coopération ruineuse
Au niveau de la balance des paiements bilatérales, les statistiques du ministère des Finances indiquent un solde global est déficitaire de 142 milliards Fcfa en 2017, en réduction de 153,8 milliards par rapport à 2016. Cette évolution résulte de la diminution du déficit du compte courant de 150,9 milliards, en liaison avec la balance des biens. La baisse de 144,8 milliards du déficit des biens s’explique par la réduction des dépenses d’importation de pétrole brut. Le déficit des « services » se réduit pour se situer à 68,9 milliards. Par contre, les « revenus primaires » et les « revenus secondaires » sont excédentaires. Les financements extérieurs se soldent par des entrées nettes de 4,3 milliards, après 1,4 milliard en 2016.
La politique de développement des échanges commerciaux avec le Nigeria participe de la conquête du marché africain, dans le cadre de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (Zlecaf). A travers le Nigeria, c’est en fait la sous-région Afrique de l’Ouest qui est visée. Suivront l’Afrique Australe, l’Afrique de l’Est et du Nord avec éventuellement des objectifs spécifiques par région.
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Nigeria: Attention danger
Le Cameroun et le Nigeria partagent une frontière maritime et terrestre de près de 1500 km. Des conflits sociaux et politiques, parfois militaires y surviennent de manières sporadiques. Mais une bataille plus insidieuse, profonde et inévitable a cours entre les deux voisins : la bataille économique. Favorisé par sa taille démographique et géographique, le Nigeria n’a cessé d’infléchir la balance de son coté, à cause d’un manque d’anticipation et même de réaction du Cameroun. Les importations camerounaises du Nigeria en 1960 représentaient moins de 1% ; elles sont passées à 13% en 2003 ; en 2005, elle atteint 27%. De 2008 à 2016, le grand voisin disputait le premier rang des fournisseurs du Cameroun avec la France et la Chine.
De même, le Nigeria est en concurrence directe avec le Cameroun pour l’attrait des capitaux internationaux. Ces derniers recherchent les meilleures économies d’échelle. Comme le Cameroun et le Nigeria ont pratiquement le même niveau de développement, la population joue alors un rôle décisif. Il découle de cette logique que le plus petit pays, en terme d’effectif de la population sera privé des possibilités d’installation des usines de taille internationale qui préféreront s’installer sur le plus grand marché.
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De par la combinaison de ces deux facteurs, le Cameroun vit avec l’influence de l’économie du Nigeria et court le risque de ne plus pouvoir élaborer une politique économique autonome. Toutes choses qui hypothéqueraient gravement l’atteinte des objectifs de la Vision si rien n’est entrepris pour renverser la tendance. »
Un APE complet à tout prix
« Œuvrer pour la conclusion d’un accord APE sous régional complet. » C’est l’un des principaux objectifs de la Stratégie nationale de développement sur la période 2020-2030 (SND30). Le Cameroun veut ainsi accélérer le processus d’intégration régionale afin de « tirer le maximum des avantages des dispositions des traités en matière de libre circulation des hommes et des biens », notamment en ce qui concerne le commerce international, la mobilité et la diffusion des facteurs (capitaux, main d’œuvre, etc.), expliquent les responsables du ministère de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire (Minepat).
Jusqu’à présent, le pays a plutôt privilégié l’intérêt national au détriment de l’intérêt régional. Depuis le 4 août 2016, le gouvernement a décidé de mettre en vigueur un Accord de partenariat économique bilatéral avec l’Union Européenne alors que les négociations pour un accord régional complet étaient encore en cours. Une option qui confirmait ainsi l’adage qui veut que «les Etats n’ont pas d’amis, mais juste des intérêts.» Pour le Minepat, Louis Paul Motaze à l’époque, «nous avons un certain nombre de produits d’exportation qui risquaient d’être frappés, c’est-à-dire de ne pas pouvoir entrer dans le marché de l’Union européenne dans les conditions que nous connaissions. C’est la raison pour laquelle il était bon que le Cameroun négocie un accord intérimaire parce qu’il devrait nous amener vers un accord régional complet que nous négocions avec l’Union européenne».
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Aujourd’hui, le gouvernement explique que l’intégration régionale constitue une option pour le Cameroun en vue du décollage industriel, avec pour perspectives de créer un marché sous régional unique permettant de mieux résister aux chocs extérieurs ; profiter des économies d’échelle pour intensifier les échanges intra régionaux ; bénéficier des avantages d’une spécialisation locale ».
Dans sa stratégie d’insertion dans le commerce international sur la période 2010-2019, les échanges commerciaux du Cameroun été marqués par une diversification des partenaires commerciaux, avec une attention particulière portée vers les pays émergents, l’Union Européenne et les États-Unis. Toutefois, les échanges commerciaux à l’intérieur de la zone Cemac sont passés de 14,3% en 2007, à 6,6% en 2019.
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