Budget 2021 : les principales innovations fiscales
Soutien massif aux producteurs locaux à travers un train de défiscalisation de la production locale dans des secteurs-clés, exonération des droits et taxes de douanes sur les importations d’équipements et intrants destinés à l’agriculture, la pêche, l’élevage et à l’industrie pharmaceutique, instauration des droits d’accise prohibitifs sur d’autres produits pour en décourager l’importation, mesures de contingentement, imposition de quotas d’importation...avec les innovations fiscales décidées dans le cadre de la loi de Finances 2021, le gouvernement affiche une politique protectionniste assumée et engage ainsi le Cameroun dans la guerre économique internationale.
S’il n’y a pas de changement de dernière minute dans le projet de loi de finances 2021, le gouvernement propose de faire passer la pression fiscale de 11,4% du PIB en 2020 à 12,3% du PIB l’année prochaine. Ce qui est loin d’être une bonne nouvelle pour le contribuable. Mais cette «pilule amer» devrait être acceptée sans gros efforts au regard des innovations contenues dans le projet de loi adopté en conseil de cabinet le 3 novembre 2020 et dont Ecomatin a eu copie. En gros, il s’agit là d’une suite favorable donnée aux propositions du patronat lors du Cameroon business forum, tenu le 22 octobre 2020 à Yaoundé.
Ainsi, l’année 2021 devrait marquer l’avènement du renforcement de la protection des droits des contribuables à travers d’une part, le réaménagement des mécanismes d’exercice des voies de recours, et d’autre part, l’institution d’une deuxième instance indépendante d’examen desdits recours; le renforcement des conditions de déductibilité des intérêts rémunérant les apports en compte courant associés ; la prorogation de la période de report des déficits fiscaux au profit des établissements de crédit et des entreprises du portefeuille de l’État en restructuration; l’affirmation du principe d’une déclaration fiscale annuelle récapitulative simplifiée par contribuable.
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De plus, le gouvernement propose un le renforcement du régime fiscal de promotion de l’emploi-jeune ; le renforcement du régime fiscal de promotion du secteur agricole ; la mise en place d’un régime fiscal particulier de promotion de l’économie numérique; la suppression des droits d’accises sur les produits cosmétiques produits localement; l’ouverture de la possibilité de remboursement des crédits de TVA aux organismes internationaux signataires d’accords avec le Cameroun. Les entreprises forestières justifiant d’une certification en matière de gestion durable des forêts devraient bénéficier d’une réduction de 4% à 3% du taux de la taxe d’abattage.
Climat des affaires
Dans la même lancée, l’on parle de la consécration de l’enregistrement gratis des conventions de rachat et de titrisation de la dette publique intérieure; la clarification du régime d’enregistrement des conventions assimilées aux cessions de fonds de commerce ; la dispense du timbre gradué des conventions de concours financiers au profit des collectivités territoriales décentralisées; la suppression de la taxe à l’essieu au profit des transporteurs; la substitution de la carte de contribuable par l’attestation d’immatriculation et la consécration de sa durée illimitée, etc.
En plus de ces mesures envisagées pour l’année 2021, celles prises en urgence au cours de cette année en riposte à l’impact socioéconomique de la pandémie du coronavirus sont reconduites presque intégralement. Il en est ainsi de la reconduction de la transaction spéciale prévue par la loi de finances 2020 dans l’optique d’aider les entreprises fortement affectées par la crise sanitaire à se libérer de leurs dettes fiscales.
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Pour les secteurs directement affectés par la Covid-19, il est envisagé une prorogation d’une année supplémentaire de la période de report des déficits fiscaux et des amortissements réputés différés ; la consécration de la déductibilité des moins-values sur cession de créances des entreprises en restructuration affectées par la crise ; l’enregistrement au droit fixe des cessions de créances des entreprises en restructuration affectées par la crise ; la suppression de la condition d’agrément au code des investissements pour le bénéfice de l’application du droit fixe sur la prise en charge du passif lors des opérations d’apports partiels d’actifs ; la déductibilité intégrale des dons effectués par les entreprises au profit de l’Etat dans le cadre de la lutte contre la crise sanitaire de la Covid-19 ; la suspension de la taxe de séjour afin d’améliorer le taux de fréquentation des établissements d’hébergement fortement impactés par la crise; l’exonération de l’impôt sur les sociétés des établissements d’hébergement classés ou non.
Fiscalité : des incitations pour doper la bourse et l’économie numérique
C’est une demande « pressante » pour le secteur privé. Elle devrait connaitre une suite favorable. Dans l’avant-projet de loi de Finances 2021, le gouvernement propose « la réduction de deux points, soit de 30% à 28%, du taux de l’impôt sur les bénéfices au titre de l’année 2021 en faveur des PME et PMI », indique-t-on au ministère des Finances. L’on annonce la mise en place d’un régime fiscal particulier de promotion de l’économie numérique.
En effet, les « start up » innovantes dans les domaines des technologies de l’information et de la communication regroupées au sein des structures érigées en centres de gestion agréés d’une exonération de tous les impôts, droits et taxes et redevances, à l’exception des cotisations sociales, pendant la phase d’incubation (5 ans au plus). Lors de la phase d’incubation : en cas de cession de la « star up », elle bénéficie de l’application d’un taux réduit de 10% sur la plus-value de cession ; en cas d’entrée en phase d’exploitation, l’entreprise bénéficie pour une période de 5 ans de l’exonération de la patente, exonération des droits d’enregistrement sur les actes de création, de prorogation ou d’augmentation du capital ; de l’exonération de toutes les charges fiscales et patronales sur les salaires versés à leurs employés ; l’application d’un taux réduit de l’impôts sur les sociétés (IS) de 15% ; l’application de l’abattement de 50% sur la base de calcul de l’acompte et le minimum de perception de l’IS ; d’un crédit d’impôts sur le revenu de 30% des dépenses de recherche plafonné à 100 millions de FCFA ; l’application d’un taux réduit de l’impôt sur le revenu des capitaux mobiliers de 5%, sur les dividendes versées aux actionnaires et les intérêts servis aux investisseurs, etc.
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Pour dynamiser le marché boursier, les sociétés qui procèdent à l’admission de leurs actions ordinaires à la cote de la bourse des valeurs mobilières de l’Afrique Centrale (Bvmac) bénéficieront de l’application des taux réduits d’impôts sur les sociétés (25%) et des taux réduits de 1,5% de l’acompte et du minimum de perception de l’impôt sur les sociétés. De même, les sociétés qui émettent des titres sur le marché obligataire de la Bvmac bénéficient de l’application d’un taux réduit de l’impôt sur les sociétés de 25%. En outre, les sociétés qui sont réputées faire appel public à l’épargne conformément à l’Acte uniforme Ohada relatif aux sociétés commerciales et aux groupements d’intérêt économique, et qui consentent à admettre ou échanger tout ou partie de leurs titres de capitaux et de créance à la Bvmac, bénéficient de l’application d’un taux réduit de l’impôt sur les sociétés de 25%, à compter de la date d’admission.
Budget 2021 : les producteurs locaux aux petits soins
La troisième session parlementaire de l’année est ouverte depuis le 12 novembre 2020 à Yaoundé. En attendant de découvrir le projet de loi de finances 2021, l’on sait déjà que l’avant-projet y relatif a été adopté lors du conseil de cabinet du 3 novembre dernier. Dans son exposé sur « les principales innovations et les modalités d’exécution du projet de loi de finances pour l’exercice 2021 », le ministre des Finances (Minfi) indique que le gouvernement va s’atteler à l’opérationnalisation de la politique d’import-substitution.
Pour le Minfi, Louis Paul Motaze, il s’agit d’un « changement de paradigme visant le renforcement de l’offre nationale en divers produits de grande consommation. » Ce changement passe par la réduction considérable du volume des importations desdits produits de grande consommation (riz, poisson, blé, maïs, etc.), qui sont source de sortie massive des capitaux et de dépendance alimentaire.
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Pour parvenir à ce résultat, le gouvernement se propose d’une part, d’exonérer de droits et taxes de douane des équipements et intrants destinés à l’agriculture, à la pêche, à l’élevage et à l’industrie pharmaceutique, en vue d’encourager les investissements dans ces secteurs d’activités et ainsi d’accroître la production locale. D’autre part, souligne le Minfi, il propose de « soumettre au droit d’accises certains biens importés produits sans difficultés particulières au Cameroun ou qui présentent des externalités négatives » avec en prime l’application de restrictions quantitatives.
Mesures de sauvegarde
Ainsi, le mobilier et ouvrages en bois, certains produits alimentaires courants produits localement, les savons et les détergents, les cure-dents, les emballages en matières plastique et textile, les papiers hygiéniques, les fleurs naturelles et artificielles seront frappés des droits d’accises au taux de 25%. Ce droit d’accises est de 5% pour l’importation des gruaux de maïs et de la mayonnaise. Des sources proches du Minfi précise que depuis la loi de finances 2020, « les droits d’accises sur ces nouveaux produits sont applicables aussi bien à la porte que sur les ventes locales. » Par ailleurs, l’hydroquinone et les gruaux de maïs ne bénéficient pas de l’exonération du droit d’accises à l’importation prévue dans la loi de finances 2020. Bien plus, l’hydroquinone et les produits cosmétiques importés sont frappés du taux « super élevé » des droits d’accises à l’importation soit 50%.
Dans le cadre du Débat d’orientation budgétaire du triennat 2021-2023, le gouvernement a arrêté une liste indicative de 19 marchandises produites en grande quantité et qui sont très affectées par les importations, ainsi que celles qui, bien qu’existantes en abondance, ne sont pas exploitées en raison des importations bon marché.
Les statistiques de la direction générale des douanes indiquent que les importations des 19 produits représentent un volume cumulé de 4 661 208 tonnes pour une valeur marchande de 808,8 milliards de FCFA en 2019, contre 4 038 975 tonnes et 736,2 milliards de FCFA en 2018. En 2019 par exemple, le riz arrive en tête de ces importations avec 905 107 tonnes en 2019. Viennent ensuite, le blé avec 866 940 t, les poissons congelés (185 744t), le clinker (2 181 003 t), la friperie (72 889 t), le butane liquéfié (113 267t), les papiers et cartons (65 163t), le lait et crème de lait (14 320t), l’huile de palme brut (50 594t), le sucre (62 956t), les tourteaux de soja (64 182t), les préparations alimentaires pour animaux (14 347t), les meubles en bois (9 576t), les gruaux de maïs (25 171t), les emballages en matières textiles (2 531t), les jus de fruits (3 879t), l’huile de palme raffinée (5 094t), le savon (3 818t) et le maïs (14 627t).
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Il n’est pas exclu de trouver un lien entre l’adoption de la politique d’import-substitution et la suspension du démantèlement lié à l’accord de partenariat économique bilatéral Cameroun Union-Européenne.
Le gouvernement se lance dans la guerre économique
« Consécration et promotion du ’’local content’’, promotion des champions nationaux et de la préférence nationale ». Le plaidoyer porté par le patronat semble produire des effets. La loi de finances 2021 devrait marquer une rupture ou à tout le moins un tournant dans ce sens. Au ministère des Finances (Minfi), on parle de « changement de paradigme » en mettant le curseur sur l’import-substitution.
Au niveau du soutien à la trésorerie des entreprises par exemple, le projet de loi de finances relève le plafond des avals et garanties accordées par l’Etat de 40 à 200 milliards de FCFA. Le plus important sans doute est que le bénéfice de cette mesure est non seulement élargi au secteur privé et exclusivement pour les emprunts intérieurs. Ceci a pour but « d’aider les entreprises à accéder à la liquidité à des taux d’intérêts compétitifs leur permettant de relancer leurs activités », explique-t-on au Minfi.
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D’une manière générale, expliquent des sources proches du dossier, les nouvelles fiscalo-douanières « ne créent pas des charges fiscales nouvelles à l’encontre des contribuables». Au contraire, «elles leur consentent d’importants allègements fiscaux et l’assouplissement des procédures, pour favoriser l’éclosion de l’entreprenariat local et la redynamisation de l’activité économique». Le fil d’Ariane de cette démarche étant l’amélioration du climat social, de l’environnement des affaires et le soutien à l’économie.
Pour s’assurer d’une implémentation efficace de la politique d’import-substitution, le gouvernement se dit favorable pour la révision du tarif extérieur commun (TEC) afin de permettre une taxation plus accrue des biens importés massivement alors que le Cameroun en produit ou dispose des infrastructures et capacités réelles de production. A cet égard, « une cinquième catégorie pourrait être créée en faveur des marchandises produites en grande quantité par les pays de la Cemac et qui sont particulièrement affectées par les importations, ainsi que celles qui, bien qu’existantes en abondance, ne sont pas exploitées en raison des importations bon marché telles que le clinker», expliquent des responsables du Minfi.
Des mesures de sauvegarde prévues notamment par les accords de l’OMC pourraient invoquées afin de protéger les secteurs d’activités qui souffrent d’une concurrence déloyale des produits importés, lesquels bénéficient généralement des subventions et d’autres formes de soutien dans leur pays d’exportation. A cet effet, les valeurs minimales, les mesures antidumping et les mesures compensatrices seront systématiquement utilisées pour rétablir la saine concurrence entre les producteurs locaux et les importateurs.
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