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Business et Entreprises
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Il faut faire de l’ingénierie financière la principale force des entreprises publiques

Le 23 mars 2020, le DG de Camair-Co, Louis Georges Njipendi Kouotou, adressait une lettre au PCA de ladite entreprise, Jean Ernest Ngallé Bibéhé, pour lui faire deux propositions, rendues incontournables selon lui, à cause de la Co-vid-19.: suspendre provisoirement l’exploitation de la compagnie ou alors y injecter une «subvention d’équilibre mensuelle de 2 milliards FCFA » pour la maintenir en activité. Depuis, le gouvernement a refusé la seconde option. Mais les mauvaises nouvelles continuent de s’accumuler au point que, des experts, y compris en interne, proposent purement et simplement, la fermeture de l’entreprise. Le transporteur public camerounais fait certes face, comme l’ensemble de l’économie, à une crise conjoncturelle. Mais il est surtout menacé, et ce depuis sa création, à un déséquilibre structurel de son modèle économique. Comme d’ailleurs la plupart des entreprises publiques et parapubliques camerounaises.

Il y a six mois, la Commission technique de réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic (CTR) avait d’ailleurs rendu public un rapport particulièrement préoccupant sur la situation financière de ces entreprises. Depuis des décennies, le gouvernement s’est obligé à remanier et à réformer le droit de ces entreprises (comme avec la loi du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises publiques), espérant ainsi en tirer un bien meilleur parti. Des dirigeants de ces entreprises ont été embastillés pour des cas d’insuffisances dans la gestion des ressources desdites entreprises. Les résultats, au bout du compte, restent au moins insatisfaisants. De là à penser que l’insolvabilité de ces entreprises est une fatalité, il n’y a qu’un pas, que EcoMatin se refuse fermement à franchir. Votre journal ouvre donc ses colonnes à une réflexion citoyenne sur la compétitivité et la rentabilité de ces entreprises, financées et même maintenues en vie pour certaines par les fonds publics, ce qui occasionne un inestimable coût d’opportunité pour la collectivité tout entière. Les lignes qui suivent constituent la première archive de cette réflexion. Joseph Désiré Okala Edoa est enseignant-chercheur, expert consultant en Management stratégique et en Ingénierie financière, expert certifié des marchés financiers. Il nous a aidés à la constituer.

Entretien avec la rédaction.

Monsieur Okala Edoa Joseph, que pensez-vous de situation prospective de quelques entreprises publiques à l’ère de l’obligation de compétitivité, de rentabilité et de performance ?

Choisissons par exemple la Camair-co, la Camtel, la SNI, la SNH, la CNPS et de la caisse des Dépôts et Consignations…Je vous remercie pour l’opportunité que vous me donnez de proposer des approches en Management stratégique et Ingénierie financière pour certaines de nos entreprises publiques. Celles que vous avez citées pour illustration me semblent être parmi les plus importantes pour le rayonnement de l’économie camerounaise. Je commencerai par celle qui est regardée à tort ou à raison comme la plus à risque à l’heure actuelle. Il s’agit de la Cameroon Airlines Corpora-tion (Camair-co). Pour relever la Camair-co, il faut, je pense, procéder à la restructuration du passif social de l’entreprise par la mise en œuvre de l’emprunt obligataire privé (recherche et levée de fonds sur le marché financier local et international). Le préalable à cette restructuration du passif social est la conduite d’un audit financier et opérationnel contradictoire et la mise-à-jour du plan de management stratégique (ou plan de développement) de cette entreprise avec la définition d’une nouvelle vision de l’entreprise.

Cela suffira-t-il ?

Non. Il faudra aussi lancer un appel d’offre international restreint pour la signature d’un contrat de partenariat avec une entreprise de l’aviation civile pour une cogestion des activités techniques pendant une période maximale de 10 à 15 ans (Camair-co bénéficie en ce moment de l’assistance technique de Ethiopian Airlines, ndlr). Stratégiquement, il serait souhaitable que le partenaire technique soit une entreprise qui a besoin de se faire un nom au sein du marché international de l’aviation civile. Ledit contrat permettra en réalité à Camair-co de «sous-traiter» la gestion technique de ses aéronefs sans toutefois se dessaisir du capital de l’entreprise. Les investissements (acquisitions et maintenances) sur ces aéronefs seront également à la charge du partenaire technique. En effet, selon l’acte uniforme OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des affaires, ndlr) portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, le contrat de concession sous-entend que «la mise en commun des biens, par le concédant (Camair-co) et par le concessionnaire, aboutit à la création d’une entité de gestion qui n’a pas de personnalité juridique propre.» Il faut noter que ce contrat de concession peut prendre la forme de régie intéressée ou d’affermage. Aussi, les loyers ou redevances qui seront versés au concé-dant (Camairco) pourraient permettre à cette entreprise de sortir définitivement des subventions du Gouvernement et de continuer à supporter les charges de fonctionnement (salaires du personnel et autres) de cette entreprise.

Ce qui devrait ménager le trésor public…

Tout à fait. Ce que je propose permettra à l’État du Cameroun de garder la même structure du capital social par la revalorisation du nom commercial «Ca-mair-co», son label et son fonds de commerce. Une cogestion sera aussi envisagée sur les activités marketing et commerciale avec l’entreprise concessionnaire. Le concessionnaire prendra en charge le développement et l’exploitation des infrastructures nouvelles (aéronefs). Cette proposition a l’avantage de sauvegarder la volonté politique qui serait de maintenir la Camair-co dans le cercle des entreprises emblématiques et symboliques de la fierté nationale, tout en lui assurant une voie certaine vers la rentabilité.

Quid de la Caisse des Dépôts et Consignations, la SNI, la Camtel et la CNPS ?

La loi relative aux dépôts et consignations existe depuis 2008 et les décrets de création de la caisse des Dépôts et Consignations depuis 2011. Volonté politique suffisamment fébrile ? Démarche stratégique particulière ? Enjeux trop importants du fait de la perte de certaines opportunités par certains acteurs ? Difficile de savoir à mon avis ce qui bloque la mise sur pied de cette structure. Cependant, répondre à la question de savoir à qui profite cet état des choses pourrait être une piste sérieuse pour la compréhension de la situation. Le Cameroun pourrait vraiment développer un système endogène de financement de son économie. Cela peut être fait à travers la Caisse des Dépôts et Consignations et la Société Nationale d’Investissement (SNI). Aussi surprenant que cela puisse être, cette dernière entreprise publique est placée en catégorie 5, ce qui signifie qu’elle réalise moins de 5 milliards de FCFA de chiffre d’affaires par an, alors qu’elle devrait être l’un des poumons de l’économie camerounaise et figurer en catégorie 1 avec la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) et la Société Nationale de Raffinage (Sonara) notamment.

Sur la base des différents rapports produits ces dernières années au sujet des comptes de ces entreprises, n’y a-t-il pas lieu d’observer comme un déficit d’ingénierie financière ?

Votre observation est loin d’être infondée. Par exemple, la SNI, la Caisse des Dépôts et Consignations, la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) et dans une certaine mesure la Cameroon Telecommunications (Camtel) sont des entreprises spécialisées aussi dans la Finance et l’ingénierie financière. Pour le cas spécifique de la Camtel, cette entreprise devrait particulièrement faire de l’ingénierie financière et de l’innovation technologique (reverse engineering pour le développement de brevets et la conception des appareils téléphoniques et programmes informatiques révolutionnaires). Des expertises camerounaises existent à suffisance dans le domaine. Arthur Zang avec son invention (le cardiopad) ainsi que William Elong (inventeur du premier drone civil camerounais) nous le prouvent. Pourquoi ne pas en faire des partenaires stratégiques ou même lancer des OPA (Offres Publiques d’Achat) ou des OPE (Offres Publiques d’Echange) sur leurs entreprises ? Ce qui imposerait à la Camtel la mise sur pied d’un département d’intelligence économique stratégique. Ce département lui permettra de pouvoir mieux collecter les données stratégiques dans un environnement extrêmement concurrentiel, traiter ces données pour en faire des informations stratégiques grâce au Knowledge Management (gestion des savoirs), développer des outils et applications pouvant permettre de bien sauvegarder et protéger ces données et informations stratégiques dans un environnement où l’espionnage informatique semble à son paroxysme, et enfin de disposer d’une capacité d’influence certaine pour obtenir des institutionnels les facilités et avantages permettant à la Camtel de rester leader dans son marché.

Vous indiquiez tout à l’heure que la SNI pouvait jouer un plus grand rôle dans l’économie nationale. Comment, concrètement ?

La SNI devrait détenir une part du capital de chaque entreprise publique, chaque PME, chaque PMI et chaque grande entreprise privée au Cameroun. Ce dynamisme opérationnel en matière d’ingénierie financière lui aurait ainsi permis non seulement d’être classée en catégorie 1 c’est-à-dire réaliser plus de 100 milliards de chiffre d’affaires par an, mais aussi d’être un véritable poumon de financement de l’économie nationale au même titre que la SNH (du temps où le prix du baril était encore une aubaine pour les pays producteurs du pétrole). Ce dynamisme opérationnel, impulsé par une meilleure ingénierie financière lui aurait également permis de créer ou de participer à la création d’emplois par milliers dans la mesure où, d’une part, toutes les entreprises qui bénéficient de l’acquisition d’actions ou de prises de participations par la SNI sont tenues de mettre sur pied des procédures de contrôle interne plus saines et respectant les canons de l’art ; d’autre part, les fonds investis dans toutes ces entreprises leur permettraient de financer de nouveaux projets et l’innovation puisque l’obligation de compétitivité et de rentabilité seraient pour ces entreprises une conditionnalité contractuelle garantissant la rémunération à juste titre du capital investi par la SNI. La SNI ferait ainsi de l’ingénierie financière son domaine d’activité stratégique. C’est ce secteur d’activité (la Finance) qui dirige et contrôle le monde.

L’Etat a une participation totale ou partielle dans ces entreprises. Lui-même peut s’obliger à cette «meilleure ingénierie financière» pour maximiser les dividendes qu’il attend…

Le gouvernement du Cameroun gagnerait en effet à anticiper et développer davantage son système d’ingénierie financière pour se faire une place de choix en Afrique et dans le monde. La Finance favorise l’économie du savoir et les innovations technologiques. Notre économie devrait faire de l’ingénierie financière (capital intellectuel ou imma-tériel) une bien meilleure force pour son rayonnement. L’économie qui repose sur les prix des produits de base (capital matériel) tels que le pétrole, le cacao, le coton, etc. est trop dépendante du niveau des prix fixés par les Occidentaux. Nous devons davantage diversifier notre économie en développant des activités d’ingénierie financière notamment par l’introduction de toutes les entreprises publiques à la BVMAC (bourse des valeurs mobilières de l’Afrique Centrale) pour espérer sortir du stress d’une récession et même d’une potentielle crise économique due aux effets de la Covid-19 et la menace d’une nouvelle dévaluation du francs Cfa.

 Vous soulignez fort à propos le cas de la baisse drastique du prix du baril de pétrole au niveau mondial. Ce qui nous amène à vous poser la question sur le sort de la SNH qui par ailleurs vient d’être transformée en Société à capital public. Comment imaginez-vous la compétitivité et la rentabilité de cette entreprise compte tenu des nouveaux textes régissant le fonctionnement de cette entreprise publique et du contexte mondial actuel ?

Le décret N°80/086 du 12 mars 1980 portant création d’une Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) dispose en son article 2 que la SNH «est régie par les dispositions légales et réglementaires en vigueur au Cameroun sur les Établissements Publics». Par conséquent, la SNH apparaissait comme une excroissance de l’administration publique, bien qu’elle soit «à caractère industriel et commercial». Un établissement public, au sens de nos lois, obéit à des exigences (exemple de l’incapacité de diversifier son offre de biens ou services à mettre sur le marché sans qu’il y ait modification préalable de son statut) et prérogatives administratives (exemple de l’obtention des subventions de l’État. Cf article 5 du décret N°80/086 du 12 mars 1980) qui limitent sa prise d’initiative, sa compétitivité et sa rentabilité. Parlant du caractère «industriel» de la SNH, il faut souligner que ce n’est que 28 ans après sa création (plus précisément grâce au décret N°2008/012 du 17 janvier 2008 modifiant et complétant le décret N°80/086 du 12 mars 1980 portant création d’une Société Nationale des Hydrocarbures) que la SNH est légalement attendue sur le plan du traitement (c’est-à-dire l’industrialisation) du gaz naturel.

 Comme vous l’avez souligné, en effet, le fait pour la SNH d’être transformée en société (et non «établissement» comme vous l’avez dit, la nuance étant fondamentale) à capital public ne supprime pas son caractère industriel et commercial. Je dirais que cette transformation renforce même le caractère industriel et commercial de la SNH. Ce qui me semble une belle ouverture vers l’opérationnalisation renforcée des concepts de compétitivité et de rentabilité. Le renforcement sur le plan «industriel» indique que la SNH doit désormais diversifier son offre en mettant sur le marché des produits innovés et dérivés des hydrocarbures. Cette exigence est contenue dans l’article 2 du nouveau décret N°2019/342 du 09 juillet 2019 : Transformation de la SNH en Société à capital public. C’est une nouvelle orientation de la SNH qui doit maintenant repenser son système de production. Il ne s’agit plus simplement de commercialiser les hydrocarbures liquides et gazeux, mais dorénavant de produire des biens dérivés et connexes comme l’asphalte, le caoutchouc, les pneus, etc. C’est la voie royale pour une meilleure diversification de l’offre et la base d’une meilleure résilience face aux fluctuations défavorables des prix du baril de pétrole à l’international. C’est aussi cela l’exigence de compétitivité et de rentabilité. Chaque Société à capital public (tout comme les sociétés d’économie mixte qui ont en même temps des capitaux publics et privés) doit produire suffisamment afin de contribuer à réduire nos importations et augmenter nos exportations. Depuis sa création, l’État a toujours été la seule entité constituant le capital de la SNH.

Lire aussi : Entreprises et établissements publics : voici les directeurs généraux les mieux payés au Cameroun

L’expression «actionnaire» introduite dans les statuts de la SNH de 2019 ne l’obligent-elle pas à plus de rentabilité ?

Ce qu’il faut déjà comprendre, c’est que l’expression «actionnaire» est introduite dans les statuts de la SNH seulement en 2019. Ni son décret de création en 1980, ni ceux modifiant ce décret en 1981, 1982 et 2008 ne font référence à ce mot. L’introduction de mot «actionnaire» n’est pas anodine parce qu’en sciences de gestion, il traduit la nécessité de maximiser les dividendes à verser à l’actionnaire. Le but lucratif est donc plus que visé. D’où l’exigence de compétitivité (réduction des coûts et diversification de l’offre des produits) et de rentabilité (maximisation du résultat économique et financier).

Lire aussi : Pouvoir d’influence du directeur général et atteinte des objectifs des entités publiques

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