Câble sous-marin 2Africa : Facebook exclu le Cameroun
Selon les sources d’EcoMatin, le géant mondial des télécommunications qui promeut ce projet, reproche au pays son cadre juridique qui accorde un monopole sur la gestion de la fibre optique à Camtel.
D’ici trois à quatre ans, le continent africain sera ceinturé par 37 000 kilomètres de câble sous-marin qui vont le turbo-porter au coeur de l’Internet mondial. Initié par Facebook, le projet de câble baptisé 2Africa (Il s’appelait à l’origine Simba), va fournir au continent, selon ses promoteurs, une capacité pouvant atteindre 180 térabits par seconde, soit trois fois les capacités cumulées des câbles qui desservent actuellement l’Afrique. Six autres grandes entreprises des télécommunications (China Mobile International, MTN Global Connect, Orange, Saudi Telecom Company, Telecom Egypt Vodafone), entre autres, accompagnent Facebook dans le financement de ce projet, qui reliera l’Europe de l’Ouest au Moyen Orient et à 16 pays africains (voir illustration).
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C’est l’entreprise Alcatel Submarine Networks (ASN) qui a été chargée de la construction de ce gigantesque câble sous-marin, l’un des plus longs au monde, qui va parcourir la Méditerranée, la mer Rouge, le golfe d’Aden, la côte africaine de l’océan Indien jusqu’au cap de Bonne-Espérance, avant de remonter l’océan Atlantique jusqu’en Grande- Bretagne.
Le câble 2Africa «apportera à de nombreuses régions d’Afrique la connectivité Internet et la fiabilité dont elles ont tant besoin. Il répondra à la demande de capacité toujours plus importante au Moyen-Orient et facilitera le déploiement de la 4G, de la 5G et de l’accès haut débit fixe pour des centaines de millions de personnes», estimaient les associés du projet il y a quelques jours, dans un communiqué.
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Absence remarquable
Dans le golfe de Guinée, le Nigeria, le Gabon, la République du Congo et la République Démocratique du Congo seront connectés à ce câble, à partir de leurs façades atlantiques. Les côtes camerounaises ont quant à elles, été soigneusement évitées par les porteurs du projet. S’agissant de la première économie de l’Afrique centrale et qui donne à cette sous-région la moitié de sa population, cette absence n’est que trop remarquable, d’autant que selon les informations obtenues par EcoMatin, les caractéristiques de ce câble sous-marin auraient permis au Cameroun de bénéficier du double de l’ensemble de ce dont le pays dispose comme capacités de connexion à l’Internet mondial. Alors pourquoi le Cameroun a-t-il été évité par ce projet ?
Selon les informations d’EcoMatin, le pays paie ainsi le prix du monopole décidé par l’Etat au bénéfice de la Cameroon Telecommunications (Camtel), l’opérateur public des télécommunications, dans la gestion de la fibre optique et les points d’atterrissage des câbles sous-marins au Cameroun. Or Facebook et ses associés dans le projet, l’ont voulu «Open Access», (c’est sous le même mode que fonctionne le câble WACS auquel le Cameroun est aussi connecté), c’est-à-dire ouvert à tous les opérateurs, sans restrictions.
Contacté par EcoMatin, un haut responsable du ministère des Postes et Télécommunications qui confirme cette information, tente de minimiser l’affaire: «S’il est vrai que le Cameroun n’a pas été retenu, il est tout aussi vrai qu’il n’en a pas été définitivement exclu. Nous pouvons toujours faire une demande d’adhésion au projet et négocier avec les porteurs de ce projet. Mais cette option, c’est la hiérarchie qui doit la prendre», explique-t-il.
Souveraineté
«Mais, nous ne reviendrons pas sur nos lois internes, pour faire plaisir à ces multinationales. Vous savez pourquoi certaines exclusivités ont été accordées à Camtel dans ce secteur : c’était pour lui permettre de rattraper son retard par rapport à ses concurrents. Mais ces exclusivités ne sont pas éternelles. Lorsqu’elles le jugeront opportun, les plus hautes autorités de notre pays pourront lever ces restrictions. Mais ce ne sera pas sous le coup du diktat de l’extérieur. Le Cameroun a une stratégie ambitieuse en matière de TIC comme l’a souvent rappelé le président de la République et nous sommes prêts à nous associer à tout projet qui oeuvre dans ce sens, à condition que la souveraineté de notre pays soit respectée», poursuit, intransigeant, ce haut responsable.
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«Il faut comprendre la logique qui sous-tend le déploiement de cette grande infrastructure : des géants comme Facebook ne cherchent pas une rentabilité financière immédiate. Mais ils travaillent, avec leurs pays, dans un projet hégémonique d’envergure planétaire, à contrôler l’Internet mondial : ses infrastructures, son contenu», commente un expert en TIC. Qui poursuit : «Ils ont pour ambition de connecter le monde entier et, ainsi de le contrôler en tous points de vue, en ayant notamment accès aux informations et données que nous échangeons. C’est bien pour cela qu’ils ont décidé que leur infrastructure serait «Open Access», c’est-à-dire accessible à tout le monde. Dans cette optique, les lois nationales restrictives n’arrangent pas leurs ambitions».
Banque mondiale
L’affaire a le don d’épuiser la patience de Beaugas Orain Djoyum, le fondateur et CEO de Digital Business Africa, un magazine consacré aux Technologies de l’Information et de la Communication, aux Télécommunications et au numérique. «Ce projet présente sans le moindre doute de nombreux avantages dont le moindre n’est certainement pas le fait de disposer d’une aussi grande infrastructure. Mais l’inconvénient, c’est que vous ne contrôlez pas cette infrastructure. Et ça, ce n’est pas rien», s’inquiète-t-il, avant de poursuivre, volontiers cocardier : «Je pense que la stratégie du Cameroun n’est pas mauvaise. La fibre optique fait partie de ce qu’on appelle des infrastructures de souveraineté. Et il est tout à fait normal que l’Etat garde le contrôle de cette infrastructure. Ça ne coûte rien à ces multinationales d’entrer en négociations avec l’Etat et surtout, de respecter la réglementation nationale. Vous ne pouvez pas arriver aux Etats Unis et y installer des infrastructures numériques en dehors de la loi, ou exiger un changement de loi. Vous connaissez certainement les problèmes que le géant chinois Huawei a aux Etats Unis. Pourquoi quand ils arrivent en Afrique, ils se plaignent des lois nationales et utilisent leurs moyens pour ne pas les respecter?».
«Il ne faut pas oublier que la Banque mondiale est derrière ce projet. Or vous savez que la Banque mondiale a toujours plaidé pour l’abolition du monopole accordé à Camtel, et qu’elle a toujours encouragé les dirigeants camerounais à démanteler la Camtel», conclut Beaugas Orain Djoyum.