Incendie à la Sonara : comment le gouvernement a sauvé les banques
Faute de pouvoir garantir la colossale dette de l’entreprise vis-à-vis des banques locales, l’Etat a décidé de lui donner les moyens de l’acquitter elle-même.
Depuis septembre 2019, nul n’a lu, sur la place publique, de communiqué alarmé ou alarmant d’une des banques créancières de la Société nationale de Raffinage (Sonara), au sujet de cette volumineuse dette. Pourtant, depuis ce mois, la plupart des grandes locales ont de bonnes raisons d’être au moins soucieuses.
En déficit structurel chronique, la Sonara n’a pas cessé d’emprunter auprès des établissements de crédit nationaux pour régler ses problèmes de trésorerie, au point d’inquiéter, par le stock et les flux de ces emprunts, le Fonds monétaire international (FMI) depuis le début des années 1990. Ce stock de dette a bondi depuis que, fin 2009, l’entreprise s’est effectivement lancée dans un ambitieux programme d ’ e x p a n s i o n e t d e modernisation. Cette dette vis-à-vis des banques locales se monterait aujourd’hui, selon la Commission technique de réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic, à 336 milliards Fcfa.
L’arrêt des activités de raffinage de l’entreprise, provoqué par l’incendie qui, le 31 mai 2019, a consumé quatre de ses 13 unités de production, est venu consacrer son incapacité à honorer ses échéances de dette, pour « cas de force majeure », comme l’avait déclaré Jean-Paul Simo Njonou, directeur général de la Sonara, le lendemain de l’incendie.
Règlement Cobac
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Créancières pour certaines au-delà des normes prudentielles de la zone Cemac en matière d’exposition à un client (45% des fonds propres) de la Sonara, les banques camerounaises n’arrivent pas à recouvrer ces créances. Si l’on y ajoute les crédits souscrits par les fournisseurs du raffineur et qui sont eux-mêmes en défaut de paiement, l’ardoise est lourde.
Selon le règlement Cobac (Commission bancaire de l’Afrique centrale) de 2018 relatif à la classification, à la comptabilisation et au provisionnement des créances des établissements de crédit, après l’échéance de 90 jours, c’est-à-dire depuis le mois de septembre 2019, ces créances impayées sont devenues douteuses, et doivent en conséquence être intégralement provisionnées dans un délai maximum de deux ans, soit au moins 50 % des encours bruts la première année et 100% la deuxième année, par des banques créancières pour couvrir leur risque de crédit. Un scénario catastrophe pour le microcosme bancaire national, et plus globalement, pour l’économie du pays et de la sous-région.
Conscient de ces enjeux, le gouvernement a d’abord songé, mais pas très longtemps, à fournir sa garantie à la Sonara, pour que cette dette soit requalifiée en « crédit immobilisé », ce qui en rend, selon le règlement suscité, la constitution de provision facultative pour les banques. Mais il a dû très vite essuyé le tir de barrage du FMI, avec lequel le pays a conclu, en 2017, un programme triennal appuyé par une Facilité élargie de crédit.
« Si l’Etat s’engageait par une garantie claire, cela allait augmenter son niveau d’endettement. Or dans le cadre du programme triennal conclu avec le FMI, l’Etat a pris des engagements en matière de rythme de progression de la dette publique. Une garantie formelle aurait fait progresser la dette publique au-delà de ces engagements et sa capacité à s’endetter pour d’autres projets aurait été réduite », explique une source très proche du dossier à la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac).
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Lobbying
Grâce au lobbying de l’Association des professionnels d e s établissements de crédit du Cameroun (Apeccam), le gouvernement a finalement pris l’option d’aider la Sonara, bien que sinistrée, à régler elle-même sa dette. « L’Etat a délivré une sorte de garantie. Mais en réalité c’est plus proche d’une lettre de confort que d’une garantie. Le gouvernement a ainsi mis en place des dispositions fortes qui doivent permettre à la Sonara de rembourser ses dettes. Il s’agit notamment de l’importation du carburant où l’entreprise contrôle 80% du marché d’importation ; d e s dérogations administratives et fiscalo-douanières, entre autres. Ce qui fait que la perspective de recouvrement de ces créances par les banques n’est pas perdue. Autrement, cette perspective allait être compromise, ce qui allait exiger des provisions », explique la source de la Beac suscitée.
Le gouvernement a en outre instruit le relèvement de la marge bénéficiaire unitaire accordée à la Sonara (ce qui a d’ailleurs permis à l’entreprise de réaliser un résultat net équilibré en 2018) et une réduction substantielle des charges d’exploitation de l’entreprise.
« Le gouvernement est allé à la Cobac tout récemment pour l’informer des mesures qui ont été prises. Je crois que lors de sa prochaine réunion qui devrait se tenir d’ici à la fin mars, la Cobac va sans douter statuer sur cette question, dans le sens probablement d’entériner l’option du gouvernement. La Cobac va donc apprécier et dire aux banques les normes prudentielles à retenir. Mais il n’y aura pas de provisionnement », assure la même source.
Danger maîtrisé
Même à l’Apeccam, l’heure est à la quiétude. « Les autorités ont été particulièrement efficaces et même perspicaces dans la résolution de ce dossier. Le gouvernement a pris des mesures extrêmement courageuses qui feront que même si la Sonara restait dans cette situation-là, il n’y aurait pas de danger particulier », assure un responsable de l’association. Qui poursuit : « la réflexion a été menée au-delà de la question du provisionnement des créances. Les deux groupes de travail mis sur pied au ministère des Finances et à la Commission technique de réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic ont travaillé autour d’une question : même si on ne réhabilite pas la Sonara dans les délais convenus, résoudre la question de sa dette ? Nous avons déjà trouvé la solution. Elle est en train d’être implémentée. Le moment venu, d’ici trois semaines ou un mois, vous serez formellement informés. Le danger est bien maitrisé et je dirais même écarté ».
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