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Opinions

Compte bancaire Afriland du MRC : Atanga Nji, hors la loi

Le ministre de l’Administration territoriale avait vainement instruit la banque de fermer les comptes du parti politique domiciliés dans ses livres, sans moyens juridiques de l’y contraindre. Explications.

 «Afriland First Bank a bien reçu la correspondance du ministre de l’administration territoriale dont vous parlez. Mais suffit-il de la recevoir pour clôturer le compte d’un client ?» C’est cette courte réponse qui a été servie à EcoMatin par l’un des cadres d’ Afriland First Bank, manifestement gêné d’avoir à s’exprimer sur un dossier hautement délicat pour la banque.

A la vérité, la question de l’interlocu­teur d’EcoMatin était une question rhétorique car au moment où ces lignes sont écrites, en cet après-midi du 14 avril 2020, le compte ou­vert par le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) dans les comptes de la banque est toujours actif. Information confirmée par le secrétaire national à la Communication du MRC, Sosthène Médard Lipot; information confirmée par une autre source interne à Afriland First Bank. «Une autorité administrative peut demander la fermeture d’un compte bancaire dans trois cas de figure, assure cette source, qui explique: «Soit elle présente une réquisition du procureur de la Répu­blique qui instruit la fer­meture dudit compte, soit elle présente une loi qui lui accorde la prérogative de demander à la banque de fermer ce compte, soit alors elle présente une décision de justice en dernière instance qui instruit la fermeture du compte».

«Pour l’instant aucune de ces conditions n’a été satis­faite. Nous attendons que le ministre se conforme à l’une de ces exigences, et nous nous exécuterons», conclut ce cadre de la banque. L’instruction du ministre de l’Administration territoriale est donc restée lettre morte jusqu’à cette heure. Pour comprendre cette défiance, un rappel des faits n’est pas luxueux.

>>Lire aussi- Fonds de solidarité contre le Covid-19 : l’Etat ouvre un compte à la BGFI-BANK

Garanties de transparence

Le 7 avril 2020, le ministre camerounais de l’Adminis­tration territoriale (Minat), Paul Atanga Nji, rend public un communiqué dans lequel il invite, entre autres, les établissements de crédits exerçant au Cameroun et dans les livres desquels des leaders politiques avaient ouvert des comptes pour y loger les fonds qu’ils avaient entrepris de collec­ter auprès des populations pour financer la lutte contre le Covid-19. Quelques jours plus tôt, le 3 avril 2020, le Président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), Maurice Kamto, par exemple, avait lancé l’initiative «non parti­sanne», «Survie-Cameroon- Survival Initiative», dans le but de mobiliser des fonds en vue de combattre les ef­fets néfastes multiformes du Covid-19 au Cameroun.

Le même 7 avril 2020, le MRC écrivait à Afriland First Bank, pour lui deman­der de créer un sous-compte liée à son compte inscrit dans les livres de cette banque, pour y domicilier les fonds collectés dans le cadre de cette opération, «au nom de l’association huma­nitaire «Survie-Cameroon- Survival-Initiative». Pour garantir la transparence de la gestion des ressources is­sues de cet appel à l’épargne du public, le MRC indiquait qu’«outre les signatures de M. Christian Penda Ekoka, président du Comité de gestion des fonds et de M. Dekum Ta Nda Huges Mar­tin, toutes les opérations sur ce sous compte devront en plus être contresignées par une des personnes, membres du Comité de gestion : le représentant du ministre des Finances, le représentant du DGSN (Délégué général à la sûreté nationale, ndlr), M. Wanah Bumakor Immanuel, Madame Maximilienne Ngo Mbe».

Jugée illégale en vertu de la loi du 21 juillet 1983 régis­sant les appels à la géné­rosité publique et le décret du 14 août 1985 fixant les conditions d’octroi de l’au­torisation d’appel à la géné­rosité publique, l’opération doit s’arrêter selon le Minat et les comptes bancaires y afférant clôturés, malgré cet effort de transparence.

Y faisant suite, le Minat adresse au Directeur général de Afriland First Bank deux jours plus tard, le 09 avril 2020, une correspondance «très urgente» au ton mar­tial que ne renierait aucun général d’armée digne de ce nom. Paul Atanga Nji y instruit la clôture immédiate des comptes ouverts à Afri­lanf First Bank par «certains leaders politiques et d’asso­ciation en vue de la collecte des fonds prétendument destinés à la lutte contre le Coronavirus (Covid-19) au Cameroun». Atanga Nji ne le dit pas, mais c’est bien le MRC qu’il a en ligne de mire.

Mais, en vertu du droit, Afri­land First Bank a décidé de ne pas donner de suite heu­reuse à l’instruction du Mi­nat. Sa position est confor­tée par Le Pr Yvette Rachel Kalieu Elongo, agrégée des facultés de droit, qui assure que «le banquier ne peut, sans commettre une faute engageant sa responsabilité, clôturer le compte bancaire du client, la réglementation bancaire ne prévo(yant) aucune hypothèse de clôture forcée du compte bancaire à la demande d’un tiers ou de l’autorité publique». Le Minat se retrouve ainsi dans une bien dommageable im­passe, sans moyens légaux de coercition sur la banque, mais surtout, on le voit, sans le moindre soutien officiel de la part de ses collègues du gouvernement, à fortiori celui du Premier ministre chef dudit gouvernement.

Terminologie confuse

Afriland First Bank n’a donc pas clôturé le compte du MRC inscrit dans ses livres. Mais a-t-il pour au­tant ouvert le sous-compte que ce parti lui demandait d’ouvrir le 7 avril 2020, au nom de «l’association hu­manitaire». «Comme vous le savez, il s’agit d’opéra­tions couvertes par le secret bancaire. Tout ce que je puis en dire c’est que l’ouverture d’un sous-compte au nom d’une association obéit à des préalables bien déter­minés par les instruments juridiques en vigueur», explique, gêné, l’un des cadres de Afriland First Bank ci-dessus cité. Ni de ses sources dans la banque, ni de celles du MRC, Eco­Matin n’a pu obtenir confir­mation de l’ouverture de ce sous-compte. Même si le doute reste raisonnablement de mise sur cette question. En raison notamment du fait que l’ «Association huma­nitaire» dont parle le MRC en désignant «Survie-Came­roon-Survival Initiative»-Et ce parti devra clarifier sa terminologie relative à cette affaire, s’agit-il d’une ini­tiative, d’un projet, d’une association ? N’a pas encore d’existence légale comme le pointe désormais le Minat, et aussi parce que les co-si­gnataires dudit sous-compte n’ont pas encore tous été désignés.

>>Lire aussi : Paul Biya fait un don de matériels d’une valeur de 2 milliards de F CFA aux 360 arrondissements du Cameroun

« Le Minat ne peut pas sanctionner Afriland First Bank »

Joseph Emmanuel Angoula, Ph.D In private law

Une Banque peut-elle procéder à la fermeture d’un compte sans l’auto­risation du propriétaire, si oui, dans quelles condi­tions ?

La clôture du compte ban­caire est un acte par lequel un client ou une banque met fin à la relation bancaire. Dans le cas d’espèce Afriland First Bank devait solliciter, à l’ouverture du compte, la documentation qui ren­seigne sur la personnalité juridique de cette entité. Or le gouvernement ne recon­nait pas avoir délivré à cette structure un certificat d’ins­cription au vue de la loi de 1990. Donc cette structure n’a pas de personnalité juri­dique légale, condition sine qua none pour l’ouverture du compte bancaire. Même si apparemment le compte a été ouvert sans remplir cette condition primordiale qu’est la personnalité juridique, Afriland First Bank devait procéder à la signature de la clause de réserve pour tout retrait en attendant la complétude du dossier d’ou­verture du compte. Il faut souligner qu’Afriland peut clôturer le compte sans l’au­torisation du propriétaire. Dans les conditions ci-après :l’absence de personnalité juridique, le non-respect de la loi sur le blanchiment des capitaux et la lutte contre le terrorisme en zone Cemac (justification de l’origine et de la destination des fonds déposés sur le compte).

Le Minat est-il compétent pour exiger à une banque la clôture d’un compte bancaire ?

Les autorités administra­tives, judiciaires, fiscales,… sont compétentes en la ma­tière. Par ailleurs, le Minat a agi sous le couvert de l’exercice de la puissance publique. Donc le Minat n’a pas outrepassé ses compé­tences.

Que peuvent les forma­tions politiques concer­nées pour rentrer en pos­session de cet argent ?

Il faut faire la différence entre les formations poli­tiques reconnues par le Minat et le regroupement « Survie-Cameroun-Survival- Fund» qui n’a pas de per­sonnalité juridique et donc ne peut exercer les droits y relatifs. A cet effet la banque est obligée de conserver les fonds jusqu’à justification de leur situation juridique. Par conséquent comme nous l’avons indiqué plus haut, la banque par précaution devait leur faire signer une clause de réserve de retrait de fonds jusqu’à production de la documentation néces­saire. Au surplus, la banque encourt des sanctions au cas où elle n’a pas fait ce qu’on appelle la déclaration de soupçons.

Qu’entendez-vous par « Déclaration de soupçons » ?

Quand vous apportez de l’argent à la banque, le ban­quier vous «soupçonne » et vous lui remettez un certain nombre de documents qui vont lui permettre d’exer­cer ses fonctions sans avoir peur.

Le Minat peut-il infliger des sanctions à Afriland First Bank ?

Non! Le Minat ne peut pas infliger des sanctions à la banque. Si on se rend compte que c’est la banque qui n’a pas pris toutes les précautions, pour enregis­trer le compte, en ce mo­ment la Cobac va les sanc­tionner. Au pire des cas elle peut retirer l’agrément mais ça c’est la sanction extrême.

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