Comprendre pourquoi les projets de la BAD au Cameroun sont plombés
Les projets financés par la Banque Africaine de développement touchent en majorité les secteurs de l’eau et de l’énergie, des travaux publics et des télécommunications. Seulement l’institution panafricaine estime que ses œuvres dans ce pays avancent à pas de tortue en raison de la faiblesse dans la maturation des projets, les lenteurs dans la passation des marchés, dans le déblocage des fonds de contrepartie et quelque fois la faible qualité des demandes de paiement.
Pour les projets d’extension et de renforcement des réseaux de transport et de distribution d’électricité, les projets financés par la Banque Africaine de Développement (BAD) au Cameroun touchent au moins 8 régions sur 10. Parmi ces projets, l’on peut évoquer le cas du projet hydroélectrique de Lom-Pangar. Les délais de livraison de cette centrale ne seront pas respectés, faute d’argent. De passage à l’Assemblée nationale, le 4 décembre 2019, pour défendre son projet de budget pour l’exercice 2020, le ministre de l’Eau et de l’Énergie (Minee) l’avait subtilement avoué aux députés.
Débutés en mars 2019, les travaux de construction de cette centrale hydroélectrique devaient durer 34 mois. Mais, « le respect du calendrier est subordonné à la mobilisation par l’État, d’un montant de 6 milliards de FCFA au titre de l’exercice 2020 représentant les fonds de contrepartie pour le paiement des décomptes de l’entreprise », avait indiqué Gaston Eloundou Essomba. Et pourtant, seule la moitié de l’enveloppe a été budgétisée. « Prenant en compte les contraintes budgétaires, mon département ministériel a provisionné 3 milliards de FCFA dans son budget 2020 à cet effet », avait ajouté le Minee.
Insécurité sur la route Ring Road
La BAD participe également au financement, à hauteur de 12 milliards de FCFA, de la construction de la route Ring-Road, dans la région du Nord-ouest en proie à des violences sécessionnistes. Longue de 357 kilomètres pour un coût global de 143 milliards de FCFA, cette route forme une boucle autour des axes Bamenda-Ndop-KumboNkambe-Misaje-Nyos-WehWum-Bamenda.
Elle permettra non seulement de désenclaver cette partie du pays, mais contribuera à améliorer les échanges économiques et commerciaux entre le Cameroun et le Nigeria. Mais, la situation sécuritaire retarde l’évolution du chantier. Cette détérioration de la situation sécuritaire n’a pas favorisé l’évolution des travaux, puisque seul le tronçon Ndop-Kumbo, d’un linéaire de 60 kilomètres est totalement achevé. Pourtant, la réalisation de ce projet devrait positivement impacter sur les transports, augmentant notamment le trafic de passagers et de marchandises et réduisant les coûts et les tracasseries de transport aussi bien dans cette partie du pays qu’avec le Nigeria.
Le corridor avec le Congo ralenti
Comme autre projet inachevé, l’on peut évoquer le corridor Yaoundé-Brazzaville, financé à hauteur de 251 milliards de FCFA par la BAD. Sur cette route de 312 kilomètres, la partie congolaise a bouclé son cahier de charges sur ce projet routier conjoint. Du côté camerounais, les travaux tournent au ralenti. À ce jour, seuls les travaux sur le tronçon DjoumMintom (98 kilomètres) sont achevés depuis le début de l’année 2017, et ont été définitivement réceptionnés au mois d’août 2019. Selon la BAD, ce projet routier revêt un caractère régional structurant, car il constituera l’un des principaux maillons du corridor alternatif à l’axe Windhoek-Tripoli pour relier la République centrafricaine au Cameroun, le sud du Gabon et assurer l’interconnexion avec la route Brazzaville – Pointe Noire au Congo.
En décembre 2019, le Cameroun sollicitait enfin de la BAD une prorogation du projet Central Africa Backbone (CAB) dédié au déploiement de la fibre optique en Afrique centrale. Car, l’échéance de l’accord de prêt signé avec cette institution bancaire était fixée au 31 décembre 2019. Cette prorogation pourrait s’étendre jusqu’au moins en 2021. « En vue de la finalisation des différents projets engagés, le plan de passation des marchés pour la période 2020-2021, soumis le 30 septembre 2019, a obtenu l’avis favorable de cette institution (BAD, NDLR) le 26 décembre 2019 », avait indiqué Minette Libom Li Likeng lors de la 8e session du comité national de pilotage du projet CAB.
Exécution hors délais
Les projets de la Banque Afrique de Développement dans le pays ne sont pas exécutés dans les délais. En séjour au Cameroun, une forte délégation de la BAD a été reçue le 2 mars 2020 par le ministre de l’Economie, de la Planification et de l’aménagement du territoire. Le but de cette visite était de « s’entretenir avec les autorités de chaque pays sur le développement économique et social et de savoir quels sont les problèmes auxquels ils font face, au-delà des notes techniques données par la direction de la banque », souligne Freddy Matungulu, administrateur de la BAD.
Au terme des échanges, il ressort que les freins au développement des projets de la Banque Africaine de Développement sont de plusieurs ordres. Notamment : le retard dans la mobilisation des décaissements des fonds pour les projets, un fort taux d’endettement rapporté au PIB (Produit Intérieur Brut), le contexte socio politique avec notamment la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ou encore la lutte contre Boko Haram.
Non-respect des délais
Il faut également noter les retards constatés dans la mise en service des ouvrages. Les causes évoquées sont, la faiblesse de la qualité à l’entrée, notamment de la maturation des projets, les lenteurs dans la passation des marchés, dans le déblocage des fonds de contrepartie et quelque fois la faible qualité des demandes de paiement. Selon l’institution bancaire, de nombreux défis restent encore à relever dans le cadre de la coopération entre la BAD et le Cameroun. En particulier dans les délais existant entre la date d’approbation et la date de signature des projets, la date d’approbation et la date de mise en vigueur du projet, et entre la date d’approbation et la date du premier décaissement.
1 300 milliards de FCFA
Près de 23 projets ont déjà bénéficié des financements de la BAD au Cameroun. Soit 14 projets nationaux, 5 projets régionaux et 4 projets du secteur privé. De manière détaillée, 62% de ces ressources sont injectées dans les secteurs du transport/ TIC ; la gouvernance, 17% ; l’agriculture et l’environnement, 11% ; l’eau et l’assainissement, 2%. Ces projets sont évalués à plus de 1 300 milliards de FCFA. Parmi les projets réalisés par la BAD au pays, l’on peut évoquer le corridor Yaoundé-Brazzaville, la construction du pont sur le Ntem, le projet de dorsale à fibre optique et le câble sous-marin mis en eau à Kribi, entre autres. Les prochains défis entre les deux partenaires résident maintenant dans la mise en œuvre et le suivie d’évaluation de ces opérations d’envergure sur le terrain, vérifier l’impact des projets pour le bien-être des populations.