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Politiques Publiques

Chine – Cameroun : le temps des béatitudes est fini – Interview de Bernard Ouandji

Economiste et ancien fonctionnaire du système des Nations-Unies, il décrypte les enjeux du 7e Sommet du forum sino-africain et affirme, entre autres, que les nouveaux projets soumis à la Chine pour leur financement  devront obéir à une rentabilité commerciale

Le Cameroun a participé au niveau le plus élevé au récent Forum afro-chinois. Nous en retenons notamment la promesse de la Chine d’investir 60 milliards de dollars en Afrique durant les prochaines années ; également la promesse d’annuler une partie de la dette des pays africains les plus défavorisés ; l’intervention de la Chine continuera sans conditionnalité politique encore moins ingérence dans les affaires  intérieures. Bref tout est « gagnant/gagnant ». Est-ce votre avis, quand on se rappelle que vous avez souvent critiqué les grands projets chinois au Cameroun !

Ce forum de Beijing a connu un succès euphorique, mais laissez-moi vous dire que le temps des béatitudes est fini. Le président de la Chine a explicitement déclaré que les nouveaux projets devront obéir à une rentabilité commerciale. Sur ce point, la Chine s’est alignée sur le Fmi et la Banque mondiale. La Chine a décidé de s’arrimer à l’exigence de bonne gouvernance économique. Fini le temps des projets de prestige qui alourdissent les finances  publiques et ne rentrent rien en devises. L’engouement pour des projets pharaoniques d’infrastructures, en échange de pétrole, cuivre, va finir  et céder place au calcul économique.

EcoMatin : Nous on croyait que la Chine va devenir une vraie alternative au Fmi et aux diktats des Occidentaux. Est-ce que la concurrence a disparu ?

Bernard Ouandji : La Chine a travaillé longuement pour que sa monnaie, le Yuan, soit titularisée au sein du Fmi ; ce n’est pas l’Afrique qui va venir anéantir cette position tant convoitée. Les Occidentaux ont encore beaucoup de griefs contre la Chine eu égard à ses pratiques (main d’œuvre des enfants ou des prisonniers, démocratie interne, taux de change artificiel, etc.). On ajoute à cette liste la corruption qui gangrène l’environnement des projets chinois en Afrique ; des politiciens africains ont rétorqué que les Occidentaux sont jaloux parce que le gâteau leur échappe

EcoMatin : Votre avis est quand même surprenant, la Chine fait peur aux Occidentaux et leur a damé le pion en Afrique…

Bernard Ouandji : Damé le pion à l’Europe oui ; ce sont les Européens qui ont en premier dénoncé les pratiques de la Chine dans les marchés de travaux publics en Afrique, mais sans pouvoir freiner l’élan du partenariat Chine-Afrique. Il a fallu que Donald Trump décide de saisir le taureau par les cornes, selon ses propres mots en anglais. Sous le feu des critiques et la menace de Donald Trump, la Chine a reformulé sa politique d’intervention en Afrique. Donald Trump a averti la Chine de mesures de rétorsion ; quand les journaux évoquaient la guerre commerciale à venir, j’expliquais à mes interlocuteurs que l’Afrique était un enjeu dans la menace de guerre commerciale Chine-Etats-Unis ; la Chine a fini par plier pour éviter la guerre commerciale par rapport à l’entrée des produits chinois sur le sol américain

EcoMatin : Lors de ce forum de Beijing, Paul Biya recherchait des financements  pour achever les autoroutes Douala-Yaoundé, Kribi-Edéa, Yaoundé-nsimalen ; va-t-il réussir ?

Bernard Ouandji : La dette du Cameroun est trop élevée en termes relatifs, et les conditions de réengagement ne sont pas encore avérées. En effet, le ministre des Finances camerounais a promulgué par écrit une auto-suspension des tirages sur emprunts extérieurs. Les économistes du gouvernement ont persisté à regarder la dette en valeur absolue, soulignant que cette dette n’est que de 38% du Pib, soit moins que le plafond de 70% édicté par la Cemac. En vérité, vu sous l’angle du cash-flow, la dette camerounaise devenait insoutenable surtout à cause de l’arrêt de la croissance enregistrée suite à la chute des cours du pétrole. Quelque part, le service de la dette du Cameroun doit subir une réduction avant de relancer le processus d’endettement. Ces quatre dernières années, je tirais la sonnette d’alarme sur le rythme d’endettement effréné  portant sur des projets sans rendement. Bien sûr, il existe une théorie en finance qui s’appelle l’effet  de levier comme facteur de croissance. Pour être validée comme stratégie d’endettement, l’effet  de levier nécessite que le projet envisagé puisse générer un cash-flow positif ; ce qui est loin d’être le cas de la multitude de projets financés par la Chine ces dix dernières années.

EcoMatin : Quelles chances que le Cameroun obtienne l’annulation de sa dette auprès de la Chine tel que souhaité par Paul Biya

Bernard Ouandji : Nous avons tous entendu notre président exercer le plaidoyer pour l’annulation de la dette chinoise. Deux considérations vont jouer ; primo la Chine tout comme le Fmi devrait exiger une bonne gouvernance économique dans un proche avenir ; en effet les chinois aiment bien le ping-pong mais pas du genre qui s’est joué sur la pénétrante Est de Douala. Secundo le Cameroun ne rentre pas dans la catégorie des pays les plus défavorisés d’Afrique.

Bernard Ouandji : Que va-t-il advenir de ces projets d’autoroute ?

Bernard Ouandji : Tous les trois projets sont entamés, et devraient être menés à terme malgré la pause due à la recherche des financements. Cependant, nous devrions profiter  de la pause pour refaire l’étude de rentabilité commerciale de ces projets selon des critères objectifs pouvant permettre d’élaborer un autre mode de financement  de ces ouvrages. Par exemple le BOT, dont on parle beaucoup sans jamais le réaliser dans notre pays ; ou encore, une émission d’obligations adossée sur la future production des entreprises riveraines, c’est ce que Dr Schacht, le financier d’Hitler, avait fait pour financer avec succès le réseau d’autoroutes de l’Allemagne.

[author title= »Par la rédaction d’EcoMatin » image= »http:// »][/author]

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